PATRICIA DE NICOLAÏ : HISTOIRE DE NOTES

Chez elle, la passion se décline sur plusieurs notes parfumées… mais pas seulement. Son inspiration remonte à loin, comme son goût pour l’art et la création.

Et si nous parlions de notes…

Je pense à la musique classique, le hautbois en particulier. Et aux oeuvres de Dietrich Buxtehude (1637-1707), un compositeur danois, professeur de Bach. C’est si beau… Je suis sensible aux frottements des notes, à l’agencement des accords, au rythme d’une pièce musicale. A l’harmonie des sons. Aux échos des voix. Le parfum, comme la musique, est un art du temps. Les sons, comme les odeurs, s’approchent de vous, vous envahissent, et disparaissent. Dans une autre vie, je serais compositeur !

Ce que vous êtes déjà un peu !

Oui, composer un parfum, c’est comme en musique, il faut trouver le bon accord ; l’habiller, affiner l’équilibre des dosages en jouant sur l’intensité olfactive de chacune des notes. Naît alors la première impression olfactive, cette fameuse note de tête, suivie de la dominante, la plus perceptible au point de vue olfactif. Exalter ou mettre en valeur dans la composition une ou plusieurs notes, jusqu’à la phase finale, la note de fond. Quant à l’effluve, il s’imprime dans le sillage de la personne qui le porte… troublant les sens de ceux et celles qui la croisent.

L’acte de création est une passion pour vous ?

Oui et c’est un peu frustrant aussi. Là où on sent le mieux nos parfums, c’est sur les autres. On n’a pas assez de cobayes. Imaginez un couturier sans mannequin. Il arrive que l’on m’aborde dans un ascenseur alors que je porte Kiss Me Intense (si secret et vanillé) pour me demander ce que c’est !

Cette sensibilité olfactive remonte à votre enfance.

Mon enfance était baignée dans le parfum ; ma grand-mère portait Après L’Ondée, ma mère Shalimar, mon père Vétiver. J’ai grandi dans une famille dont j’ai hérité le sens de l’effort. Après des études en chimie, j’ai intégré l’école de parfum de Versailles, l’ISIPCA, et, de stage en stage, j’ai découvert les matières premières, les marques (Chanel et Cristalle, Dior et Diorissimo ou Eau Sauvage…) puis la production et surtout le laboratoire de création.

Racontez-nous votre filiation à la maison Guerlain…

Je fais partie de la sixième génération de cette grande famille de parfumeurs, et ne suis jamais rentrée chez Guerlain, même pour un stage. C’est étrange, mais c’est comme ça !

Le frère de ma grand-mère était le grand PDG de la Maison Guerlain fondée en 1828. La société a toujours été dirigée par des hommes. Il n’avait pas eu d’enfants mais avait des neveux et nièces. Il savait que j’étais dans le parfum. Mais dans ma famille, on me disait : « Tu vas te marier, tu auras des enfants… Finalement non, ce n’est pas possible. »

Pourtant, le laboratoire et la création vous intéressaient ?

Oui. Après l’obtention de mon diplôme, je suis allée chez Firmenich où j’avais fait un stage. « On veut bien vous prendre, mais pas en création, en évaluation ! », m’a-t-on dit. Pas beaucoup de femmes en création à l’époque ! Puis j’ai eu la chance d’intégrer une équipe de parfumeurs chez Quest. Ils m’ont énormément transmis.

Tout en conciliant votre métier à votre vie de famille…

Au fil du temps, on m’a donné de plus en plus de responsabilités, notamment des voyages à l’étranger. A l’époque enceinte de mon troisième fils, j’ai décidé de m’occuper de ma famille en prenant une ou deux années sabbatiques. « Impossible, m’a dit mon mari, tu auras trop de difficulté à rejoindre le secteur qui va très vite ». N’ayant peur de rien, il a eu alors l’idée de se reconvertir. Ensemble, nous avons lancé notre Maison de parfums. J’étais libre de mon temps de travail, libre de créer, libre d’équilibrer ma vie de famille et ma passion. Sans mon mari, rien n’aurait été possible !

Vous souhaitiez aussi remettre en avant le métier du parfumeur-créateur ?

Oui, il doit pouvoir apporter une signature olfactive visible, représentant l’ADN de la marque, lui donnant ainsi une identité plus forte. Bref, revenir au parfumeur « in house ». C’est pourquoi j’ai eu envie de créer ma propre maison de parfums en reprenant mon nom de jeune fille, en tant que parfumeur qui signe ses créations.

Votre laboratoire est au cœur de Paris : la capitale vous inspire-t-elle ?

C’est un cadeau du ciel que d’être à Paris, la ville la plus inspirante au monde. Installée près du Palais-Royal, je puise mon inspiration dans ce que j’aime et ce qui m’entoure. A commencer par la rose que j’ai voulu réécrire, comme un peintre qui retouche un tableau. La collection, composée d’une quarantaine de parfums, s’agrandit régulièrement ; pour le retour des beaux jours, j’ai signé une nouveauté : Yuzu Eau Fraîche.

Vous êtes aujourd’hui accompagnée d’Axel, l’un de vos trois fils, qui reprend le flambeau et développe l’international de la société familiale.

Le label Paris pour une maison de parfumerie à l’international est important à l’international. C’est pourquoi, dans un premier temps nous avons ouvert sept boutiques à Paris et deux à Londres. Et depuis une dizaine d’années, nous nous développons à l’export. La marque est maintenant présente dans une quarantaine de pays et compte plus de 200 points de vente.

Isabelle SADOUX

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