
Parfumeure chez Symrise depuis 2014, Suzy Le Helley est considérée comme une étoile montante de la parfumerie. Passionnée par les plantes, elle apprend à les découvrir, appareil photo à la main, lors de ses voyages à travers la planète. Rencontre avec une créatrice sensible et attachante.
1/ Bonjour Suzy. Pouvez-vous nous raconter votre première rencontre avec les parfums ?
Je dirais que c’est l’odeur de l’herbe fraîchement coupée qui me ramène à mon enfance. J’ai toujours aimé être dehors, et enfant, je passais des heures dans le jardin potager qui prenait vie au fil des saisons. Un petit espace m’était réservé pour mes propres plantations odorantes. J’y cultivais du muguet, du chèvrefeuille, des jacinthes et même une bouture d’un rosier de ma grand-mère. C’est elle qui m’a transmis cette passion pour les plantes à parfum.
2/ Vous souvenez-vous du premier parfum que vous avez porté ? Du premier que vous avez créé ?
Mon tout premier parfum était Anaïs Anaïs de Cacharel, que j’avais reçu en cadeau. Plus jeune, j’ai également porté ck one de Calvin Klein, un parfum que je redécouvre aujourd’hui avec la même admiration, tant il reste intemporel.
Ma toute première création était une bougie parfumée pour la marque française Récoltes, nommée Cacao Fumé. L’idée était de réinterpréter les notes fumées réconfortantes, évoquant un feu de cheminée, en y associant une touche gourmande et chocolatée. Sinon j’ai d’abord commencé à formuler aux côtés d’Annick Menardo, mais je dirais que le premier parfum que j’ai entièrement créé seule est Nuage Cerisier, issu de la collection Kenzo Memori.

3/ Mode, art, nature, cuisine, voyage : en tant que créatrice, qu’est-ce qui vous inspire particulièrement ?
Tout m’inspire ! Mais principalement mes voyages à la rencontre des plantes à parfum! J’aime explorer les lieux où elles poussent, comprendre leur environnement et échanger avec les agriculteurs et distillateurs. Ces rencontres sont souvent une source précieuse d’idées pour mes créations.
Mon dernier voyage m’a menée en Inde du Nord, où l’on cultive notamment la rose à Pushkar et le bois de oud en Assam. J’ai également fait une halte à Kânnauj, la capitale indienne du parfum pour faire des rencontres passionnantes et étudier des méthodes d’extractions particulières à l’Inde.
Au-delà du parfum, je suis fascinée par l’artisanat et les métiers manuels, qui se situent à la frontière de l’art. J’ai une profonde admiration pour ces savoir-faire minutieux. La cuisine est aussi une grande source d’inspiration pour moi, notamment par la richesse des associations de saveurs et d’épices. La cuisine asiatique, en particulier, me passionne par son équilibre subtil et ses contrastes aromatiques.
4/ Avez-vous des ingrédients ou accords fétiches dans votre travail ? Y a-t-il des matières premières qui vous transportent ou vous font voyager ?
L’osmanthus est très intéressant car contrasté, tout en étant harmonieux, avec ses facettes fruitées, daim et animales. J’aime beaucoup le patchouli sans doute parce que ma mère a porté celui de Réminiscence et de nombreux parfums chyprés.
L’iris est une véritable obsession. J’aime explorer ses facettes irisées et poudrées, capturer à la fois sa délicatesse et sa profondeur. Mais c’est sans doute le mimosa qui me transporte instantanément.
5/ Qu’est-ce que ça fait de créer un parfum pour les Editions de Parfums de Frédéric Malle ? Beaucoup de parfumeurs en rêvent, mais il y a peu d’élus.
Je n’aurais jamais imaginé vivre un tel rêve si tôt dans ma carrière. C’était un projet que j’envisageais plutôt comme un aboutissement en fin de carrière et non au début. Je mesure chaque jour la chance que j’ai eue de participer à cette aventure. Travailler avec Frédéric Malle a été passionnant mais aussi très naturel, on s’est rapidement fait confiance. Frédéric est quelqu’un que j’admire énormément pour sa vision, son investissement et son exigence de l’esthétique.
Et puis créer le tout premier parfum d’une maison comme Acne Studios, avec son identité si affirmée et son ADN créatif que je respecte profondément, est une opportunité rare et précieuse. Je me sens tellement chanceuse.

6/ Vous avez collaboré récemment avec Dans le Noir. Pouvez-vous nous parler de cette expérience atypique ? Avez-vous cherché à retranscrire en odeur l’idée du noir ou de la nuit et si oui comment ?
C’était la première fois que je recevais un brief dans l’obscurité totale, une expérience qui a bouleversé mes habitudes. Me plonger dans cet exercice inattendu a été à la fois déroutant et révélateur. Cet environnement sans repère visuel a renforcé mon intuition. Et justement il m’a semblé presque plus facile que d’ordinaire de me projeter dans un univers sensoriel bien défini.
L’objectif était de penser à un parfum pour la nuit, s’intégrant dans une nouvelle routine, un nouveau geste beauté. Il devait trouver sa place au cœur d’un rituel de bien-être, juste après la douche et avant de se glisser dans les draps.
Le santal s’est imposé comme une évidence, avec ses facettes sensuelles évoquant une seconde peau. Dès le premier rendez-vous, le croquis du parfum s’est dessiné dans mon esprit. Au calme, j’ai peaufiné chaque détail pour sculpter un santal sublimé par des touches de musc, d’amande et de fève tonka.
La marque ayant pour ambition de créer un produit d’exception, j’ai eu la chance de travailler sans contrainte budgétaire. Les évaluations menées auprès de panels de voyants et de non-voyants à Paris, Londres et Madrid ont enrichi cette démarche, à la fois profondément personnelle et résolument collective.

7/ Quels conseils pourriez-vous donner à un jeune qui souhaiterait devenir parfumeur ?
À cœur vaillant, rien d’impossible ! La clé réside dans la détermination et une résilience à toute épreuve. Il faut avancer sans jamais renoncer, avec humilité et un travail acharné. Je lui conseillerais surtout de cultiver un esprit positif en toute circonstance.
8/ Suzy Le Helley, quel est votre luxe à vous ?
Le temps ; le temps de savourer chaque instant, de me consacrer aux choses qui me font du bien et d’en partager la douceur avec ceux qui me sont chers. Le luxe d’offrir une part de ce temps précieux à ceux qui m’entourent.




Pour suivre Suzy Le Helley en photos et en parfums : https://www.instagram.com/suzy.lehelley/