Rencontre avec l’Indiana Jones du parfum

Stéphane Piquart est sourceur d’ingrédients et parcourt le monde pour dénicher des ingrédients olfactifs nouveaux ou plus éthiques. Aventurier, passionné, précurseur du développement durable, il se définit volontiers comme une sorte d’Indiana Jones du parfum.

Stéphane, quelle a été votre première rencontre avec le parfum ?

Le parfum me parle, il me dit « Je me souviens ». Il fait remonter furtivement les odeurs de mon enfance : celles de la ferme, du foin dans lequel nous bataillions mon frère et moi, des écuries où nous allions caresser les chevaux, et des étables où nous assistions à la traite des vaches… Mais c’est aussi sans doute l’ultime souvenir qu’il me reste de ma première petite amie de maternelle. Plus tard, c’est le premier parfum offert par mes parents, l’eau de toilette Pour Homme d’Yves Saint Laurent, puis ma rencontre avec Jean-François Laporte, créateur de L’Artisan Parfumeur.

Vous vous définissez comme un sourceur d’ingrédients : de quoi s’agit-il ?

J’aime bien rapprocher mon parcours de l’histoire de Nantes et de ces explorateurs, inventeurs et romanciers à la Jules Verne. Un Indiana Jones des matières premières, comme le disent les marques ou sociétés de composition avec lesquelles je travaille. Je suis plutôt un trait d’union entre les parfumeurs-créateurs, les maisons de composition et les producteurs de plantes à parfum. Mon travail consiste à chercher des matières nouvelles, ou déjà connues mais porteuses de valeurs ajoutées environnementales et éthiques. La quête débute par une plongée dans le passé de la matière, dans la région des producteurs, d’un parti pris, d’étonnements et d’enthousiasmes, se poursuit avec des rencontres, des terrains d’étude et de choix… pour finir quelques années plus tard en parfum, si la chance est avec nous.

Quel était votre objectif en créant le site Le Sourceur ? À qui vous adressez-vous ?

Avec Le Sourceur, créé il y a 2 ans, l’objectif était de partager mes découvertes avec le grand public, mais aussi d’explorer l’autre face du parfum : se sentir bien et pas seulement sentir bon. Nous nous entourons d’olfactothérapeutes pour valider nos choix et comprendre de quelle manière les odeurs influencent nos émotions. Nous étudions aussi les bienfaits des huiles sur le plan de l’aromathérapie afin d’appréhender ces petites merveilles sous toutes leurs formes. Le Sourceur va aussi me permettre de retravailler ou de réinterpréter des recettes du passé, en y ajoutant nos valeurs durables et éthiques.

Vous avez récemment co-créé l’ONG Parfumeurs sans Frontières : quels en sont les enjeux ?

Nous sommes quatre amis à nous être rassemblés pour créer Parfumeurs sans Frontières, avec des parcours divers (deux responsables d’ONG, un parfumeur et un sourceur). Nous nous sommes dit qu’il était temps de transmettre ce que nous avions appris des autres et de nos propres expériences. Notre volonté est surtout d’enrichir à notre tour les valeurs ajoutées du parfum, en montrant comment sourcer, transformer, composer, commercialiser… Nous avons partagé dès le départ nos procédés, nos méthodes, en rendant les producteurs locaux le plus autonomes possible. Aujourd’hui, nous sommes fiers de montrer qu’après un an, nous avons utilisé les fonds confiés de manière optimale : plus de 90 % sont allés directement sur place (achat et construction de magasins touristiques, achat de distillateurs, transfert gratuit de procédés de transformation des plantes à parfum…). À terme, il y aura des parfumeurs en résidence.

Les acteurs du luxe et du parfum communiquent de plus en plus sur la RSE et le développement durable, en B2B comme auprès des consommateurs. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Avec le Santalum Spicatum, sourcé en Australie, nous avons été précurseurs avec mon ami Steve Birkbeck en constituant une filière durable et éthique ; nous y sommes parvenus aussi grâce à Givaudan, qui a pris le risque dès 1999. Depuis, de nombreuses sociétés ont essayé d’avancer sur ce sujet et ont bien progressé malgré tout. Quand je dis « malgré tout », c’était surtout dans le but de fournir à leurs actionnaires des documents recevables et utilisables en marketing. Le discours se développe auprès des consommateurs, qui deviennent de plus en plus des « consom’acteurs » et qui se renseignent sur la transparence des filières, l’origine des produits et le « greenwashing » éventuel. C’est une bonne chose, car il y aura toujours des précurseurs, des convertis, des hésitants… mais je pense qu’il s’agit d’une tendance durable.

En matière de tendances justement, comment voyez-vous les parfums demain ?

Sur les tendances que je sens venir, je vois de plus en plus le bien-être plutôt que la séduction, la naturalité plutôt que la chimie, même verte, l’originalité plutôt que le « flanker ». De plus en plus de marques m’approchent en direct pour leur trouver l’ingrédient qui fait sens et qui représentera la colonne vertébrale de leur parfum. Demain, on demandera dans quel champ a été cultivée cette lavande, comment s’appelle le producteur de vanille de Nosy Komba qui a récolté ces gousses… Peut-être alors accepterons-nous les différences de notes suivant les saisons, les parcelles ou les millésimes. Chacun pourra s’approprier le parfum, et y ajouter un peu plus de santal ou d’ylang à son goût.

Quelles senteurs vous font-elles vibrer ? Y a-t-il à l’inverse des odeurs que vous aimez moins ou pas ?

J’aime le pétrichor, cette odeur du sol et de la terre après la pluie. J’aime celle du bois de santal, réminiscence de mon enfance et odeur fascinante pour la concentration et la méditation. Les fleurs en général, pour leur parfum souvent difficile à capturer, mais dont on se souvient comme d’un rêve inaccessible. L’odeur de l’ambre gris qui vous enveloppe et reste longtemps sur votre peau. Celle du baume tolu, de la vanille, du benjoin ou du Bushman Candle. Il n’y a pas vraiment d’odeur que je n’aime pas, si ce n’est la civette à l’état naturel.

Stéphane Piquart, quel est votre luxe à vous ?

Mon luxe à moi, c’est ma liberté d’agir, de choisir ce que je fais, qui je vois, qui je rencontre, avec qui je collabore. Mon luxe, c’est le temps que je me donne et que je donne aux autres. C’est aussi les risques que je prends et les causes que je défends. Ayant la chance de n’être pas au départ issu du sérail de la parfumerie, j’ai gardé la faculté de m’étonner, de porter un regard d’enfant sur les histoires, les matières et les hommes. Mon luxe, c’est aussi aujourd’hui de partager mes découvertes et de transmettre les leçons du terrain, tout en gardant en tête cette citation de Paulo Coelho : « Si vous pensez que l’aventure est dangereuse, essayez la routine, elle est mortelle. »

https://www.lesourceur.com/

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