L’euphorie en parfums et flacons : expos croisées

Par Isabelle Sadoux

Des parfums Art Déco sont à l’honneur dans deux expositions parisiennes.
L’une au Musée des Arts décoratifs « Shocking : les mondes surréalistes d’Elsa Schiaparelli » (jusqu’au 22 janvier), l’autre au palais de Chaillot « Art Déco France /Amérique du Nord (jusqu’au 6 mars 2023).

Expositions « Art Déco France/Amérique. du Nord » et « Shocking » à Paris

Imaginez… entre les deux guerres, l’euphorie est à son comble dans la capitale. La vie bat son plein au rythme des arts, des innovations. Dans les pas d’une nouvelle architecture aux évolutions stylistiques, les artistes s’engouffrent dans ce mouvement de frénésie créatrice. L’architecture, la mode, la joaillerie, la parfumerie, les arts de la table s’inspirent de ce nouveau style dont les lignes simples et fluides contrastent avec la période précédente symbolisée par l’Art nouveau. L’Art déco est partout. Dans la presse, on célèbre « le goût nouveau, épris d’unité et d’harmonie ».

Année phare : 1925

C’est le début des Années folles. L’esthétique est épurée, Les artistes conservent cependant les matériaux nobles du style précédent : bois précieux, cristal, galuchat, dorures. L’apogée de ce mouvement s’illustre en 1925, lors de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris.

L’Art déco est le premier style international moderne. Et séduit le monde entier. En particulier les Américains : une délégation de 104 membres s’y précipite. Coup de foudre pour ce « nouveau style » qui les invite à abandonner les références au passé et va inspirer les artistes et architectes nord-américains, canadiens et mexicains.

Cette esthétique novatrice accompagne un renouvellement de l’art de vivre. Elle provoque de nouvelles demandes, notamment dans le domaine des accessoires féminins. La vie des femmes et leurs habitudes de consommation évoluent. Les industriels s’adaptent à la femme nouvelle et collaborent avec les artistes, moteurs de l’innovation formelle.

Les parfumeurs suivent le mouvement : ils développent et introduisent des odeurs originales dans des flacons aux formes réinventées. La parfumerie entre ainsi dans l’ère moderne grâce à des collaborations célèbres : René Lalique et François Coty, Armand-Albert Rateau et Jeanne Lanvin, Paul Iribe puis Georges Lepape et Paul Poiret entre autres.

Objets signés Coty, Vionnet, Lelong, D’Orsay …

Dans cette exposition au Palais de Chaillot, une vitrine entière déroule des objets de collections qui, chacun à leur manière, racontent cette période.
La parfumerie est à son apogée. Avec des lignes, des fragrances et des objets de beauté aussi élégants que précurseurs signés Coty, Vionnet, Lelong, D’Orsay et quelques autres comme nous le raconte Anne Camilli, commissaire de cette partie « Mode Parfum Beauté » :
« Rompant définitivement avec la parfumerie hygiéniste du XIXe siècle, ils inventent une nouvelle parfumerie de luxe. Des formules où se côtoient matières premières naturelles et synthétiques. Des flacons et des emballages dont le rôle est devenu essentiel, celui d’ambassadeur de la fragrance. ».

Pendant la première guerre mondiale, le commerce de la parfumerie avait ralenti en Europe, mais s’était développé fortement aux Etats-Unis.

Les années 1920 sont marquées par l’arrivée de nouveaux créateurs (Helena Rubinstein, Elizabeth Arden…).Dans le même temps, certaines marques européennes (comme, Schiaparelli, Patou) visent une clientèle américaine.

Coty, Lelong et Hudnut

Anne Camilli relate comment François Coty (1874-1934), surnommé « le père de la parfumerie moderne » sera le premier à le comprendre : « Il fait appel à René Lalique pour la création de ses flacons et c’est en industriel visionnaire qu’il déclare : « Donnez à une femme le meilleur produit que vous puissiez préparer, présentez-le dans un flacon parfait, d’une belle simplicité mais d’un goût impeccable, faites-le payer un prix raisonnable et ce sera la naissance d’un grand commerce tel que le monde n’en a jamais vu ». Son rêve d’Amérique devient réalité en 1913, lorsque les parfums Coty élisent domicile à New York au N° 714 de la Cinquième Avenue, dans un magnifique immeuble dont les panneaux de verre sont l’œuvre de René Lalique. Afin de contourner les barrières douanières, les parfums Coty sont assemblés dans une usine locale, à partir de pièces détachées importées de France et c’est parce qu’il comprend la place essentielle du maquillage sur le marché américain, l’homme d’affaires développe des gammes de poudre et rouge à lèvres assorties à ses parfums. Le succès est au rendez-vous ! »

L’appel du large

Parmi les couturiers-parfumeurs, Lucien Lelong (1889-1958) considéré comme « le plus américain des couturiers français », entreprend son premier voyage transatlantique en 1925. Le couturier est conquis par « l’American way of life » et partagera dès lors son temps entre la France et les Etats-Unis. En 1935, après avoir distribué quelques parfums de façon confidentielle dans sa maison de couture parisienne, Lucien Lelong commercialise enfin avec succès un premier parfum. Il s’agit de l’Indiscret dont le flacon et le coffret directement inspirés de la couture Lelong sont l’œuvre du peintre russe Alexandre Zinoview. Les flacons et coffrets suivants marqueront une vraie rupture stylistique. Ils ne s’inspirent plus de la couture mais de l’architecture des gratte-ciels américains. Ainsi ce coffret en métal générique dont le décor rappelle le Chrysler building ou le coffret du parfum Penthouse lancé en 1937 ».

Des flacons à foison

L’identité visuelle des parfums repose donc de plus en plus sur la forme générale du flacon, dont le développement de l’industrie du verre a libéré la forme. L’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925 stimule les créateurs : les flacons sont parfois réalisés en matériaux traditionnellement liés à la décoration intérieure (galuchat, laque, bakélite, le polopaze,).. ou de nouveaux matériaux tels que la les. métaux nickelés ou chromés.

Nécessaires de beauté à l’honneur

A côté des flacons, « de magnifiques poudriers, des rouges à lèvres ou des nécessaires de beauté à porter, ces accessoires de mode et de beauté combinés, feront bientôt la preuve de l’extraordinaire créativité et l’ingéniosité des industriels poursuit Anne Camilli. A l’instar des joaillers et bijoutiers français, les fabricants américains produiront ainsi à partir des années 20, une nouvelle génération de poudriers ou nécessaires appelés « compacts » destinés au sac à main où à être portés au poignet, au doigt, voire autour du cou. La plupart d’entre eux seront multifonctions dissimulant: un poudrier compact, un fard à joues, un rouge à lèvres, un mascara, un crayon, parfois un compartiment porte-monnaie ou un étui à cigarettes. Parmi les plus célèbres Richard Hudnut avec sa gamme de «Compacte, le Début» sur le marché américain.

Dans cette extraordinaire émulation créative portée par une aspiration à la modernité, de chaque côté de l’Atlantique tous contribuent à faire de de l’Art Déco un style au rayonnement international. En particulier 4 femmes encore célèbres aujourd’hui !

Jeanne, Gabrielle, Nina,… et Elsa

Jeanne Lanvin, Gabrielle Chanel, Nina Ricci et Elsa Schiaparelli. Cette dernière fait donc l’objet d’une exposition au Musée des Arts décoratif et donne l’occasion de s’arrêter sur ses parfums et flacons mémorables.

A son arrivée à paris en 1922, Elsa rencontre Paul Poiret qui l’encourage à se lancer dans la mode. En 1925, elle se laisse happer par l’engouement de l’Exposition des Arts décoratifs, les nouveaux arts qui annoncent le design, mais surtout un nouvel art de vivre. Jean Dunand, figure artistique de l’Art déco et ami de la couturière, réalise son portrait.

Appelez-moi Schiap ! » lançait-elle à ses amis Cocteau, Bérard, Duffy, Dalí, ravis de se joindre à ses folies. Jusque dans ses créations Schiaparelli est provocante, joyeuse, subversive tout en inspirant aux femmes qu’elle habille la confiance en elles que les vêtements sont censés leur procurer. Ses collections les plus célèbres sont inspirées des arts du spectacle (Le Cirque. Eté 1938) ou de la science (Astrologie, hiver 1938-1939).

Shocking, 1937 est son premier parfum. Le flacon, dessiné par Léonor Fini s’inspire du buste de Mae West. Il existe en plusieurs versions, dont une version de luxe, où le flacon de parfum à proprement parlé repose sur un socle rose shocking – signature des créations de la maison – et sous un globe en verre.

Suivent Sleeping (1838), comme un bougeoir… et Snuff (1939), une fragrance présentée dans une boite à cigares et le flacon de parfum, déposé sur un lit de paille, prend la forme d’une pipe en cristal. Puis Salut et Souci… tous commençant par la lettre S… par superstition paraît-il.

En 1946, Le Roy Soleil est dans un flacon de Baccarat dessiné par Salvador Dalí, représentant un soleil doré, dont le visage est esquissé par des oiseaux en vol, dressés sur une mer bleue et or. Le tout est présenté dans un écrin doré en forme de coquillage.

La farandole de flacons, les photos et les illustrations présentées dans l’exposition témoignent de la créativité d’Elsa Schiaparelli qui a marqué la parfumerie de part et d’autre de l’Atlantique. En lui laissant le dernier mot, nous constatons une fois de plus, son caractère et son style… le style Schiap ! : « Deux mots ont toujours été prohibés dans ma maison : le mot création, qui me paraît atteindre le summum de la prétention, et le mot impossible. »


Achetez vos billets pour les deux expositions :

https://www.citedelarchitecture.fr/fr/agenda/exposition/art-deco-france-amerique-du-nord

https://madparis.fr/ExpoSchiaparelli

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