Nez à Nez avec Irène Gosset, présidente du Groupe Pochet

Irène Gosset, présidente du groupe Pochet

par Marie-Bénédicte Gauthier

Elle est l’une des héritières et la présidente du Groupe Pochet, illustre flaconnier français qui fête ses 400 ans cette année. Une maison qui, de rêveries en verreries, se réinvente sans cesse en faisant miroiter un fabuleux triptyque : histoire, savoir-faire d’exception et défis d’éco-conception. Interview en toute transparence !

Depuis 1623, Pochet du Courval façonne le verre. Que pouvez-vous nous dire sur cette histoire exceptionnelle ?

À la genèse de l’histoire, on trouve une vallée, celle de la Bresle en Normandie. Aujourd’hui la « Glass Vallée », à l’époque, une région avec des forêts qui fournissent du bois de chauffe, des fougères et du sable… Par des lettres patentes, acte législatif royal, la princesse Catherine de Clèves autorise François Le Vaillant, sieur du Courval, à établir une verrerie sur ses terres. Tout commence avec du verre plat, avant que l’entreprise ne se diversifie dans les contenants dès l’essor de la parfumerie. 

Signe de distinction, le flacon iconique de l’Eau de Cologne Impériale de Guerlain, créé en 1853 et rehaussé d’abeilles d’or en relief, marque l’attention portée au flaconnage, avec un véritable travail d’orfèvre. C’est un point de bascule ; depuis, nous n’avons cessé de perpétuer ce savoir-faire et d’innover pour les plus belles marques du secteur de la Beauté. 

Pochet contribue à l’héritage artistique du parfum grâce à l’excellence de la réalisation de ses flacons. En dehors du verre, quels sont vos savoir-faire ?

Dès 1990, l’offre s’est élargie à d’autres activités complémentaires, comme la plasturgie pour travailler les bouchons, l’aluminium, le zamak, et tout ce qui est lié à la gravure, la dorure et la peinture. En France, ces pôles d’expertises se situent dans différentes régions, en Normandie, en Eure-et-Loir, dans la Somme, l’Aisne, le Cantal, le Loiret, le Lot et en Mayenne. C’est une fierté particulière de pouvoir s’engager sur les territoires et d’être un employeur local. Ces deux atouts contribuent à l’essor de nos métiers. 

Existe-t-il des ponts entre ces différents savoir-faire ? 

Absolument, c’est que nous essayons de pousser au maximum. Agréger tous les savoirs liés au flaconnage – verre, plastique, métal, décor et accessoires – est ce qui nous différencie. Nous avons la capacité de travailler les différents matériaux afin de les assembler au micron près, avec des contraintes liées à chacun d’entre eux. Ces interactions entre différents savoir-faire créent de nouvelles opportunités d’apprendre et d’entreprendre pour nos clients qui ont de belles exigences. Nos métiers d’art et ceux de la high tech ne cessent de correspondre pour pousser le curseur toujours plus loin. J’ajouterais que toute contrainte ouvre à la créativité, une façon de voir toujours plus loin…

Comment le Groupe Pochet répond-il aux exigences des marques en matière de durabilité ? 

Lorsqu’on revendique l’excellence, on la maintient à tous les niveaux. Or relever les défis de l’éco-conception passe par la RSE, une demande de nos clients mais aussi notre volonté intrinsèque de propulser l’entreprise dans un monde plus responsable. Dès 2015, nous avons formalisé cette démarche avec des engagements chiffrés et mesurés. Nous avons mis au point SEVA3, un verre d’excellence contenant 15 % de verre recyclé, sans aucun compromis sur la qualité, la brillance et la transparence. La même démarche a été engagée  avec de nouvelles matières vertueuses, comme les plastiques recyclés ou biosourcés. 

Il faut savoir qu’à chaque fois que nous changeons un matériau, nous repensons tout le process dans lequel il intervient. Il faut alors se réinventer à tous les niveaux de la chaîne de production. Aujourd’hui, les pompes sont difficiles à recycler ; c’est pourquoi nous revenons à des flacons avec des bagues à vis pour pouvoir soit séparer les éléments plus facilement et optimiser leur recyclage, soit les remplir à nouveau. 

Quelles tendances voyez-vous actuellement dans le design des flacons de parfum ?

Des mains de nos artisans jaillissent des flacons d’émotion. Je vois une tendance à l’allègement, qui n’est plus antinomique avec l’idée d’un luxe qui « pesait son poids ». Le flacon de Gabrielle pour Chanel a été un défi magnifique, précurseur d’une tendance longiligne. Ici, la margoulette a été repoussée à son paroxysme de manière à faire littéralement rayonner le parfum. Le flacon devait donner l’impression d’être en suspension, invisible et en même temps très robuste. 

Idôle de Lancôme a donné lieu à d’autres contraintes, avec son design aussi mince qu’un Iphone ! Je pense aussi à Cartier et son parfum Panthère, avec cette sculpture intérieure de l’animal, à Bonbon de Victor & Rolf et son col enfoncé, au sourire radieux de la Vie est Belle de Lancôme ou au magnifique robot Phantom de Paco Rabanne. 

Chaque parfum a son jus, chaque parfum a son flacon. Le flacon et l’ivresse en quelque sorte, n’en déplaise à Alfred de Musset ! Nous disposons d’outils de modélisation digitaux incroyables comme Morphoz, pour calculer la réflexion de la lumière, l’interaction avec la couleur du jus, les différents impacts du laquage…

Les marques de niche travaillent-elles différemment ?

Oui et non, elles ont souvent des designs exigeants. L’idée du bel objet rechargeable est assez forte, celle du flacon-bijou que l’on peut conserver, voire transformer. C’est la part du rêve. En Chine, j’observe une envie de petits formats, genre 15 ml. Les Chinois ont envie d’apprendre, on voit émerger des marques nationales. 

Pochet reste une entreprise familiale. Comment est-elle organisée ? 

L’entreprise est détenue à 100% par notre famille Colonna de Giovellina depuis 10 générations, avec une histoire chevillée au corps, et ses quatre siècles d’existence célébrés cette année. Plusieurs membres de la famille siègent au conseil de surveillance présidé par ma cousine Laurence Vivant ; d’autres, de la génération suivante, exercent des fonctions opérationnelles dans le Groupe. Cela nous permet de ne pas avoir l’œil fixé sur le trimestre suivant comme si nous étions sous le joug d’un fond de pension, mais bien de réfléchir au long cours. 

Pendant le Covid, nous avons investi sur une industrie 4.0 en maintenant la réfection d’un four et en imaginant un plan de décarbonation avec la construction d’un four électrique qui sera prêt fin 2024. Je salue aussi l’attachement de tous ceux qui travaillent pour nous, fondeurs, maquettistes, moulistes, etc. Nous participons tous, et à tous les niveaux, à un savoir-faire ancestral qui se prête à de nouvelles métamorphoses high tech. Tout cela dans le milieu de l’industrie lourde, une industrie qui tourne 24h sur 24h, 365 jours par an.

Quelle est votre ambition pour les années à venir ?

Le Groupe Pochet est depuis plus d’un siècle le partenaire des plus prestigieuses maisons de parfums, de soin et de maquillage. Nous collaborons étroitement avec elles et innovons sans cesse pour imaginer la Beauté responsable de demain.

Notre ambition, c’est d’être durablement le partenaire incontournable de l’industrie de la Beauté, grâce à notre vision long-terme et à la Responsabilité Sociale et Environnementale que nous plaçons au cœur de notre démarche.

Nous sommes une industrie qui se projette dans un avenir résolument technologique et humain, à travers la digitalisation et l’automatisation, mais aussi la préservation et la transmission de nos savoir-faire exceptionnels. C’est un pont fantastique entre notre passé et notre avenir.

En tant que membre de la Fragrance Foundation France, quel pourrait être le rôle de l’association dans le futur selon vous ?

La France reste le principal foyer de création du parfum dans le monde. À ce titre, la Fragrance Foundation France doit de continuer à valoriser l’industrie française pour partager ses savoirs avec le plus grand nombre.

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