Nez à Nez avec Cécile Matton, senior parfumeur chez Mane

Après une enfance en Afrique et des expériences professionnelles en France et aux Etats-Unis, Cécile Matton a rejoint Mane, une maison de composition française née en 1871. Elle nous raconte ses souvenirs d’ailleurs, sa passion pour les odeurs et les défis de son métier.

Cécile Matton, senior parfumeur chez Mane

Cécile, quel est votre parcours et qu’est-ce qui vous a amenée chez Mane ? 

Dans les années 80, l’industrie de la parfumerie était liée à l’industrie pharmaceutique : je me suis donc dirigée vers des études de pharmacie option industrie. Lors d’un stage chez Biolandes Technologies, je me suis penchée sur l’aromathérapie pour les cosmétiques. J’ai réalisé une étude sur les huiles essentielles qui m’a confirmé l’envie de me tourner vers la parfumerie.

En 1992, j’ai intégré l’école Givaudan-Roure à Grasse pendant deux ans, puis je suis devenue l’assistante de Jean Guichard à Paris pendant un an. C’est là que ma carrière a débuté. Je m’occupais principalement des extensions de ligne : mise en crème, savons, etc… pour des marques comme Nina Ricci et Cartier, avant de voler de mes propres ailes et signer mes premiers parfums.

Dans les années 2000, j’ai souhaité vivre une expérience américaine, et j’ai eu l’opportunité de partir à New York au sein de la maison de composition IFF. De retour en France, j’ai rejoint l’équipe de création de Mane à Paris, où je m’épanouis depuis bientôt 16 ans.

Votre passion pour les odeurs vous vient d’Afrique où vous avez vécu enfant. Quels souvenirs en avez-vous rapportés ? 

Je suis née au Zaïre, où j’ai grandi jusqu’à mes 8 ans. Chaleur, lumière, odeurs… Je garde énormément de souvenirs olfactifs de mon enfance. 

Quand nous allions en ville sur les marchés, j’adorais sentir la multitude d’odeurs qui se dégageaient des différents lieux, comme les arachides fraîches emballées dans des papiers journaux. Les graines d’angélique me rappellent l’odeur des tissus wax utilisés pour les boubous que portaient mes nounous.

Sur le chemin de l’école, nous passions devant une boulangerie où tous les pains étaient mis en vente par terre dans des grands seaux en inox. Je garde en tête l’odeur des baguettes chaudes mais pas très cuites, c’est pour cela que j’aime toujours le pain très blanc.

L’été en fin de journée, des pluies torrentielles s’abattaient sur la route, et à ce moment-là se dégageait une vapeur odorante de macadam brûlant. L’IsoButyl Quinoléine, une molécule cuirée et chyprée que je ne connaissais pas à l’époque, m’a tout de suite remémoré la fumée de DDT (le dichlorodiphényltrichloroéthane), quand tous les soirs un avion passait au-dessus des villages pour diffuser un produit anti-moustiques.

Un autre souvenir très fort est celui de l’essence : lorsque ma mère aller faire le plein, je me remplissais les poumons tellement cette note était pour moi addictive. Cette odeur aujourd’hui n’est plus la même car elle est souvent parfumée. 

Tous ces souvenirs m’ont sensibilisée aux odeurs et c’est grâce à cela que j’aime sentir.

Quelle est votre première rencontre avec le parfum ? 

Je dirais l’odeur de ma maman, qui portait Miss Dior dans sa version originale.

C’était un vrai patchouli chypré, et c’est d’ailleurs ma famille olfactive préférée.  

Selon vous, quelles sont les principales évolutions de votre métier ?  Quels enjeux pour le parfumeur de demain ? 

L’évolution la plus marquante concerne les matières premières, qui sont sujettes à de nouvelles réglementations. Le Lilial, par exemple, est interdit dans l’Union Européenne depuis un an. Les normes étant de plus en plus restrictives, nous perdons l’accès à certaines matières premières et devons créer des bases olfactives pour les remplacer. 

Aujourd’hui, l’offre a évolué avec environ 3 000 lancements par an. Il y en avait 150 au début de ma carrière ! Nous travaillons sur de nombreux briefs avec une concurrence beaucoup plus rude, et nous devons présenter plusieurs pistes de réflexion au client. 

Pendant longtemps, le nom du parfumeur restait confidentiel, c’était un métier « caché ». Il est de plus en plus visible aujourd’hui. Les marques veulent mettre en avant les créateurs, qui deviennent presque des ambassadeurs en partageant l’expression de leurs émotions.

Pour moi, l’enjeu principal de la parfumerie de demain est de parvenir à remplacer des matières premières devenues interdites et moderniser certaines formes olfactives.

Quels sont les plus grandes joies et les plus grands défis de votre métier ?

Ma plus grande joie, c’est évidemment de gagner un projet car on s’y investit pleinement pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Les phases de développement sont longues, entre deux et cinq ans. 

Au quotidien, c’est tout simplement à la fin de ma journée, si j’ai fait un essai qui me satisfait et dont je pense qu’il répond exactement au brief de la marque. Le plus important, c’est d’être fier de ce que l’on crée.

Travailler en collaboration avec d’autres parfumeurs permet de moins s’essouffler en termes d’idées et de trouver de nouveaux accords. De manière générale, les parfumeurs ont des connexions très fortes avec les évaluateurs qui les guident dans leurs intentions créatives. J’aime ces échanges lorsque nous arrivons à un langage commun et à une synergie qui nous fait avancer sur le projet.

Mon métier consiste également à effectuer des recherches pour trouver de nouveaux accords afin d’augmenter notre palette olfactive. Trouver des associations inédites n’est jamais simple. Le plus grand défi pour un parfumeur, c’est de créer une nouvelle tendance olfactive, voire une nouvelle famille, par exemple les notes marines. 

La marque Diptyque m’avait demandé de créer une bougie qui sente la citrouille fraîchement cueillie dans un champ. Les accords classiques sont plutôt des citrouilles à l’américaine, cuites avec de la cannelle par exemple pour Thanksgiving, ce qui n’était pas du tout le brief. Ce qui est compliqué avec les odeurs abstraites, c’est de les retranscrire en quelque chose de tangible pour en faire un succès. 

Pour exercer le métier de parfumeur, il faut à la fois être commercial et créatif afin de trouver un équilibre. 

Chez Mane, quels sont vos engagements pour une parfumerie plus vertueuse ? 

Nous avons mis au point la technologie du Jungle Essence™, un procédé d’extraction de matières premières, naturelles ou non, via un fluidesupercritique. Cette innovation est plus respectueuse de l’environnement que d’autres méthodes de traitement, et permet d’obtenir un ingrédient olfactivement plus proche de la matière première d’origine.

Depuis une quinzaine d’année, Serge Majoullier, pionnier dans ce savoir-faire spécifique à Mane, nous aide à créer des extractions inédites telles que l’ananas, le pain d’épices, le poivron vert, la noisette ou encore la noix de coco. C’est lors de ses différents voyages avec son extracteur mobile qu’il a pu réaliser des essais sur place.

De retour en France, les essais doivent être validés en laboratoire avant la production industrielle dans notre usine du Bar-sur-Loup, près de Grasse.

Pouvez-vous nous dire un mot de vos futurs projets ?

Nous avons de très beaux projets de parfums en cours, mais ils sont confidentiels ! 

À titre personnel, j’ai toujours aimé les activités manuelles pour pouvoir être maître de mes créations. Chez moi, j’ai un atelier où j’invente des bijoux depuis quelque temps. Et cette année, je me suis découvert une nouvelle passion pour le tricot : j’ai même suivi une formation professionnelle pour faire du stylisme sur maille. J’aime beaucoup travailler les matières naturelles comme la laine, le coton et le lin. Exprimer mes passions au travers de créations me procure une liberté immense. 

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