Stéphane Piquart, chasseur d’essences

Aventurier infatigable, Stéphane Piquart est “sourceur” de matières premières. Il démontre qu’on peut encore découvrir de nouveaux ingrédients et de nouvelles histoires humaines pour nourrir la parfumerie. Et permettre à la matière première de s’exprimer autrement, grâce à des techniques d’extraction plus respectueuses des ressources de la planète.  

Par Lionel Paillès 

Il entre avec autorité dans ce bar du quartier du Palais-Royal à Paris, sac à dos sur l’épaule. Son sourire a le charme des fraises dérobées dans le jardin du voisin. D’un air gourmand, Stéphane Piquart plonge les mains dans son sac et en sort un objet lourd, enveloppé dans une multitude de tissus dépareillés. Il s’agit d’un gros caillou de forme irrégulière, teinté de gris foncé : un bloc d’ambre gris de 2,1 kilos, découvert sur les côtes du Yémen. Un trésor rare. L’odeur est si singulière qu’elle surprend d’abord : tabacée, plus ou moins iodée et légèrement animale. « Les deux tiers du bloc ont déjà été vendus », précise Stéphane avant qu’on ne lui pose la question. Quant au reste, il l’infusera dans de l’alcool, qu’il proposera à une maison de luxe. Il dispose de sa propre recette : faire vieillir l’ambre nouveau dans une infusion d’ambre déjà vieillie pendant 6 mois. Stéphane propose déjà à ses clients 15 infusions de ce type, de l’iris à la vanille, du thé au gowé (une racine du Sénégal).

Il est peu commun d’inventer son propre métier. C’est pourtant ce qu’a réussi à faire ce Nantais d’adoption, presque par hasard, il y a 24 ans. Stéphane Piquart est alors commercial dans une compagnie d’assurances, lorsque son ami australien Steve Birkbeck lui propose de trouver des débouchés en Europe et aux États-Unis pour le santal australien, un arbre qui pousse sur les terres des Aborigènes. À l’époque, le santal indien de Mysore, victime de trafics qui entraînent la déforestation, traverse une crise grave. Les marques de parfum et les maisons de composition cherchent des filières plus respectueuses de l’environnement. 

En créant la société BeHave en 2007, Stéphane tourne définitivement la page de son ancienne vie : le voilà sourceur de matières premières et entrepreneur humaniste. 

Une démarche équitable

Ce rêveur plein d’audace aime se voir comme un “passeur de sens”. « On me paie pour partir à la recherche de matières premières nouvelles, ou pas encore exploitées de façon équitable, c’est-à-dire cultivées dans le respect de l’environnement et payées au prix juste ». Entre BeHave et les marques, il y a toujours une ONG partenaire (Cœur de Forêt en Amazonie, IRDNC en Namibie), implantée localement, qui s’assure de la filière d’approvisionnement sur le long terme et fait en sorte que chaque producteur soit rémunéré correctement. 

Stéphane Piquart n’est pas un sourceur comme les autres. Il ne recueille pas simplement les essences, il collecte aussi des histoires ancestrales. « Nous offrons aux parfumeurs la possibilité de glisser dans leurs formules un supplément d’âme. Ce qui permet au parfum de retrouver de la rareté, et aux consommateurs le plaisir et l’envie de parfum », explique-t-il dans un sourire.

« Il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir ». Stéphane, qui a fait sienne cette phrase du peintre Henri Matisse, croit dur comme fer que la nature est encore en capacité d’apporter de nouvelles notes à la parfumerie. Son projet Ecce Terra en apporte encore une fois la preuve. Il vient de créer avec la société nancéenne SFE Process un extrait COd’humus naturel, une terre de forêt qu’il destine à des marques qui revendiquent un ancrage dans un terroir particulier. « Avec la même société, nous développons aussi un extrait aux inflexions animales obtenu à partir de la lanoline du poil de mouton », ajoute ce passionné. Ce qui l’intéresse, c’est de s’aventurer là où d’autres n’osent pas aller. Il est heureux d’être parvenu à capter l’odeur naturelle du muguet (jusqu’ici reconstituée à partir de molécules de synthèse), grâce à la technique ancestrale de l’enfleurage. Un projet à petite échelle qu’il a réservé à la marque de parfums solides AB 1882, installée en Loire-Atlantique.

Stéphane a la conviction que son métier de sourceur ne consiste pas seulement à découvrir des matières rares et précieuses aux quatre coins du monde, mais aussi à trouver des méthodes novatrices et responsables pour les transformer. Son obsession du moment : la “détente instantanée contrôlée”, une technologie qui permet d’extraire le santal en 45 secondes et non plus en quelques jours. « Les économies d’énergie à la clé sont considérables », se réjouit cet optimiste en recherche permanente. Aux Comores, où l’exploitation de la fleur d’ylang-ylang est responsable de la déforestation, il installe des alambics fonctionnant à l’énergie solaire pour réduire la consommation de bois.

Après quelques jours de vacances en Italie, le sourceur a déjà la bougeotte. Il vient de reprendre son chapeau et son sac à dos pour partir cette fois à Madagascar. Sa mission : s’assurer de la bonne santé de Parfumeurs Sans Frontières, l’ONG qu’il a créée il y a trois ans avec Olivier Behra, un promoteur d’entreprises sociales et solidaires, et le parfumeur Thierry Bernard. « Nous installons sur l’île de Nosy Komba un alambic et un séchoir afin de transmettre un savoir-faire pérenne aux populations locales pour qu’elles deviennent autonomes », ajoute-t-il. Stéphane Piquart n’a pas fini de sillonner la terre à la recherche de nouvelles essences et de belles rencontres avec des humains, des traditions et des savoir-faire. 

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