Nez à nez avec Karine Vinchon, parfumeur chez Robertet

Elle est ce qu’on peut appeler “un bébé Robertet”, accomplissant toute sa carrière au sein de la société grassoise. Depuis une vingtaine d’années, cette créatrice voit son métier comme un engagement de chaque instant et pratique une parfumerie frontale et exigeante.

Par Lionel Paillès

Lorsqu’elle songe à ses premiers souvenirs olfactifs lui vient l’image de la biscuiterie Jeannette que son grand-père avait rachetée en Normandie. Petite fille, Karine Vinchon Spehner y trainait pendant des heures, humant les odeurs de madeleines sorties du four. « Ces instants-là ont forgé évidemment mon appétence pour les odeurs », explique-t-elle. Vers 10 ans, ce sont d’autres senteurs qui se dévoilent à son nez aux aguets lorsque la famille déménage dans le sud de la France : le mimosa, le jasmin et la lavande. C’est précisément dans ces années-là qu’elle comprend la puissance inimaginable que le parfum peut avoir sur chacun de nous. « Une amie au collège avait une mère désagréable, une femme très dure. Un jour qu’elle se préparait à sortir, elle portait une robe sublime et j’ai senti sur elle Must de Cartier : elle s’est soudain métamorphosée devant mes yeux en une femme plus douce et aimable ».

Très vite, la jeune fille a la certitude que son destin passera par le métier du parfum. Elle intègre l’ISIPSCA, l’école de parfumerie de Versailles. Son entrée chez Robertet relève quant à elle du hasard. « Mon copain du moment connaissait le fils du parfumeur grassois Christian Rostain, Il lui a fait passer mon CV qui a été retenu ». Le parfumeur devient son tuteur entre 2002 et 2004. « Il m’a forcé à prendre mon temps, à ne pas brûler les étapes. Il ne voulait pas que je touche à un brief  avant de maîtriser parfaitement les bases du métier ». Autre rencontre déterminante : le parfumeur Michel Almairac. « En sortant de l’école, j’ai entendu dire qu’il cherchait une assistante. Ma bonne étoile m’a permis d’être au bon endroit au bon moment. J’ai pesé ses formules pendant 18 mois. Il avait cette générosité de me faire sentir ses essais et d’écouter mon ressenti.  Il attendait cela de moi d’ailleurs, que j’exprime un avis motivé et circonstancié ».

A son tour, Karine a pris sous son aile l’apprenti parfumeur Maxime Philippe, lauréat du prix du jeune parfumeur-créateur de la SFP en 2021. Elle a essayé de lui transmettre ce que Michel Almairac lui avait communiqué : ne jamais se satisfaire de ce qu’on a. Toujours essayer, être curieux et patient. Et l’essentiel : avoir une conviction et s’y tenir. Michel Almairac lui a aussi enseigné l’art de l’épure. « Chaque matière première doit justifier sa présence et doit avoir une histoire à raconter ».

Si la parfumeuse est installée à Paris depuis deux ans et demi, elle a longtemps travaillé à Grasse. Être proche des producteurs et des plantes à parfum a été pour elle une bénédiction « J’ai eu la chance de sentir dans l’air toutes ces merveilles qui arrivaient par centaines de kilos afin d’être traitées. J’ai donc mémorisé certaines facettes pour lesquelles d’autres pourraient être moins sensibles ». Même si son nom apparaît de plus en plus, cette travailleuse forcenée avance en silence, sans forcément chercher la lumière. Son bureau parisien calme et lumineux déborde de projets en cours. A vue de nez, il y a une trentaine de flacons d’essais sur un plateau. Sur ses étagères, quelques noms reviennent : Memo, L’Artisan Parfumeur, Xerjoff et Amouage, marque née au sultanat d’Oman, pour qui elle vient de signer Santal Sohar (un attar c’est-à-dire une huile parfumée 100% pure) et qui lui fait confiance depuis 2010.

Elle s’épanouit naturellement dans la collaboration au long cours avec quelques marques dont elle partage les idées. C’est le cas de MarieJeanne, marque grassoise créée par Georges Maubert pour laquelle elle a composé Marcel et un nouveau parfum sur le point de sortir. Mais Karine s’enthousiasme aussi du champ des possibles qu’ouvre une nouvelle collaboration. La marque coréenne OHTOP lui a commandé un « oud aérien », antithèse du oud traditionnel, qui sort ces jours-ci sous le nom bien choisi de Air Oud.

Si la parfumeuse a développé un vrai style, elle a du mal à le définir, ou plutôt elle ressent une forme de gène à le faire. Émilie, une évaluatrice qui travaille à ses côtés répond du tac au tac : « Karine utilise des quantités importantes de naturel, privilégiant les notes ambrées et boisées. Il y a beaucoup de sophistication et d’élégance dans ses notes. ». La vérité, c’est que sa parfumerie est à son image : sobre, directe, signée et pleine de caractère. Vingt ans après son entrée dans la société, son attachement à Robertet ne se dément pas. « J’apprécie que cette maison fasse une vraie confiance aux jeunes parfumeurs. Je devais avoir 24 ans lorsque j’ai signé seule l’Eau de Jatamansi, l’un des premiers parfums 100% naturel et certifié lancé ». Elle trouve surtout dans cette maison familiale la plus belle collection de produits naturels dont elle puisse rêver. Une promesse de richesse olfactive qui n’a pas de prix.   

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