Parfum et architecture : mettre le génie des lieux dans un flacon

Par Axelle de Larminat

Le parfum serait-il la quatrième dimension de l’espace ? Avec le parfum d’ambiance, l’olfactif se fait une belle place dans les maisons, les musées, les boutiques ou les espaces de travail… Quels liens le parfum entretient-il plus précisément avec l’architecture ? Ces deux arts, qui ont en commun technique et créativité, peuvent dialoguer voire s’imbriquer. État des lieux.

Puissance d’évocation

Chacun a pu en faire l’expérience : certaines odeurs ont la capacité de vous transporter dans un autre espace-temps. Grâce aux associations mémorielles, des paysages ressurgissent, des images se précisent, des sensations renaissent. L’association d’un lieu à un parfum se fait spontanément. D’ailleurs, en parfumerie fine, on ne dénombre plus les dénominations de fragrance font d’emblée rêver à une destination, à la manière de Paris – Venise (Les Eaux de Chanel). L’exercice du parfumeur-créateur consiste à alors traduire l’esprit d’un lieu à travers une grammaire olfactive.

Ainsi, l’eau de parfum Citron Boboli par Le Jardin Retrouvé a été inspirée par le majestueux parc des Médicis à Florence. Comptoir Sud Pacifique fait émerger l’image d’un lagon turquoise du bout du monde à travers la fragrance infusée de calone Aqua Motu. Diptyque ressuscite la boutique de ses débuts et son ambiance cosmopolite avec 34 Boulevard Saint-Germain, où s’empilent l’ambre, le patchouli, la rose et la cannelle, souvenirs des périples du trio fondateur de la Maison…

Abstraction minérale

«Le parfum, comme l’architecture ont un point commun : ils se développent chacun dans l’espace. De plus, la mémoire olfactive est souvent associée à des lieux précis tels que la maison de famille, la boulangerie, la piscine… » explique Nathalie Gracia-Cetto, parfumeur-créateur chez Givaudan, qui a partagé ses réflexions sur les connexions entre architecture et parfum dans le cadre d’une conférence organisée en avril 2024 au Musée Fragonard lors de la Paris Perfume Week.  

Si les évocations d’un lieu se font naturellement par des plantes, épices, fleurs ou bois, il est moins évident de transcrire des odeurs minérales, celles des matériaux qu’utilise fréquemment l’architecte. Lorsqu’elle est interrogée sur la façon dont elle procède en tant que parfumeur, Nathalie Gracia-Cetto explique faire un détour par d’autres sens : « Le marbre pourrait trouver écho dans le côté froid des aldéhydes, la minéralité dans une molécule comme l’Ambrofix. L’iris peut faire penser à un toucher velouté. Les muscs peuvent évoquer des sensations d’enveloppement… ». Le maître-mot c’est l’abstraction.

Créé par Nicolas Baulieu (IFF) le parfum-matière Concrete de Comme des Garçons apporte une pierre à l’édifice. Dans un flacon de béton blanc brut, ce parfum boisé-épicée déconstruit tous les repères autour du santal pour en livrer une forme abstraite hypermoderne. Une démonstration que la matière olfactive peut se plier à toutes les intentions, à l’image de certaines prouesses architecturales des courants déconstructivistes ou brutalistes.

Des ingrédients comme autant de briques

Dans le cadre de l’inauguration de sa première boutique parisienne en propre, David Benedek a conçu un lieu à l’image de sa marque BDK parfums en collaborant avec deux jeunes architectes. Ce travail a servi de base de brief à la parfumeur Alexandra Carlin (chez Symrise) qui a composé le parfum-signature de l’adresse 352 Saint-Honoré à partir des toutes premières propositions des designers d’intérieur. Elle a ainsi capté la verticalité, la lumière et la transparence, éléments fondateurs omniprésents et perceptibles sur les plans.

Son travail retranscrit les qualités de l’espace : « Une ouverture épicée addictive où la baie rose fusante et sa feuille à la tonalité poivrée, presque encens, illuminent la tête de la composition et sont un clin d’œil à l’éclat du verre qui habille la devanture. En cœur, l’accord blanc oranger, propre et lumineux, fait écho à la fraîcheur et à la luminosité de la pierre naturelle de Bourgogne, présente sur les murs, le sol et dans l’escalier. Le captif Tonkalactone, aux facettes coco amandées, crée le lien entre la note florale et les notes boisées de la fragrance. Le fond, résolument musqué et minéral, retranscrit l’écrin urbain et l’aspect béton de la boutique ». Une formule qui vibre et explore toute la complexité de l’architecture, tout en étant en affinité avec la peau.  

Quand le parfum habite l’espace

Le parfum d’ambiance peut devenir une dimension essentielle d’un cadre de vie et faire partie des meubles. Il impose alors subtilement son empreinte au lieu, comme le ferait un style. Il est une forme en apesanteur qui s’emboite dans les formes matérialisées par l’architecte. Il est l’une des composantes de l’expérience d’un espace.

La société Scentys est spécialisée dans la diffusion de fragrances dans l’espace selon des modalités plurielles : diffusion sèche en capsule, grande échelle, douche olfactive, diffusion connectée ou sans contact, jusqu’à l’immersion lors de projection vidéo ou de réalité virtuelle. Elle met en avant la notion de signature olfactive d’un lieu et la puissance de l’ancrage mémoriel à travers le parfum.

Ainsi, la société propose dans son catalogue le parfum Haussmannien qui évoque un appartement parisien au parquet en point de Hongrie. Les ingrédients majeurs (Cardamome, Cire d’abeille, Cannelle, Cèdre, Santal) se combinent pour susciter des émotions olfactives (chaleur, confort, aisance, sophistication, harmonie). Scentys propose également des parfums sur mesure élaborés en fonction des impressions recherchées (luxe, confort, énergie ou sérénité). Une façon de parfaire une expérience et de souligner les détails d’une décoration intérieure. Chaque lieu, comme chaque parfum, diffuse des ondes qui lui sont propres. Il s’agit de les accorder.  

Passerelle des arts

Au niveau conceptuel, de nombreuses passerelles connectent les métiers de parfumeur et d’architecte. Un parfum, tout comme un objet architectural, nait d’une idée et prend forme progressivement. « Un parfum se construit souvent sur un accord simple, qui s’apparentent à des fondations. La composition repose sur le choix de matières spécifiques qu’il faut assembler, comme dans une construction. On peut parler de détails et de finitions aussi bien dans les deux spécialités. » souligne Nathalie Gracia-Cetto, qui aime aborder sa pratique créative sous des angles renouvelés.

Les langage du parfumeur et de l’architecte s’appuient souvent sur une même sémantique : structure, charpente, verticalité, pyramide, proportions, facettes, touche finale… On parle aussi d’écriture olfactive ainsi que d’écriture architecturale, de la peau d’un bâti et de parfums de peau. On peut qualifier un édifice, tout comme un accord olfactif, de néo-classique. On peut également pointer des analogies dans les deux démarches de création : le style minimaliste, par exemple, peut s’appliquer aux parfums à formules courtes ou à des architectures volontairement dépouillées.

Des jeux de miroirs sans fin qui repoussent les limites de l’imagination.

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