Producteurs d’ingrédients naturels : des entrepreneurs responsables et engagés.

Par Sophie Normand

Resperfuma, agence de marketing dédiée aux métiers de la parfumerie fondée par Virginie Gervason, réunit pour la première fois sept producteurs d’ingrédients naturels. Le Naturals Corner prendra vie lors du salon WPC2024 qui se tiendra à Genève du 24 au 27 juin prochains. Dans le cadre d’un débat modéré par Dominique Roques, expert du sourcing de matières naturelles, ils exprimeront d’une même voix leurs valeurs et leurs engagements. L’occasion d’évoquer les défis auxquels ces entrepreneurs se confrontent pour améliorer leur pratique de l’approvisionnement responsable d’ingrédients naturels.

Des enjeux communs pour des producteurs venus de tous horizons.

Qu’elles produisent de l’ylang-ylang à Madagascar, (Jacarandas), du jasmin Grandiflorum en Inde (Jasmine CE PVT) ou du lavandin en France (SCA3P), ces petites ou moyennes entreprises font face aux mêmes problématiques. Impliqués dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, ces producteurs responsables forment les agriculteurs, se confrontent aux aléas climatiques et aux normes réglementaires. Comme l’explique Jasmine CE PVT,l’approvisionnement en matières premières commence par la connaissance du sol, des conditions climatiques, de la disponibilité de l’eau et, surtout, des agriculteurs, dont la sélection est essentielle car c’est une collaboration à long terme”.

Même écho pour Jacarandas qui gère “les aspects humains, sociaux, écologiques, économiques et de durabilité de la chaîne d’approvisionnement”. En pratique, l’entreprise soutient les agriculteurs dans leur développement, en les formant aux techniques agricoles préservant la biodiversité. Une aventure au quotidien, puisqu’elle traite avec diverses parties prenantes, aux caractéristiques et exigences distinctes. Enio Bonchev produit depuis 1909 des essences de rose et de lavande. Cette entreprise familiale bulgare cultivateurs, agriculteurs et producteurs d’huiles essentielles– est présente à chaque étape de la chaîne de production : qualité du produit, gestion des coûts, durabilité et conformité réglementaire.

Une mise en œuvre complexe, aux facteurs multiples.

Le sourcing responsable exige de respecter l’environnement tout en protégeant les communautés, comme le souligne SCA3P. Notre coopérative est une structure à taille humaine, qui appartient à ses producteurs, axée sur l’équité, l’échange, la sécurité et le bien-être au travail. Nous construisons des relations de confiance sur le long terme”.  Pour Verger Naturals, producteur d’épices au Sri–Lanka, l’approvisionnement durable repose sur deux axes, “L’impact de notre activité sur la planète – le sol, la nappe phréatique, le climat. Et l’impact sur les personnes. Ce qui suppose de payer des prix équitables, de soutenir les agriculteurs dans les moments difficiles et d’améliorer leurs moyens de subsistance.”

Nelixia source des matières premières directement auprès de 2 000 producteurs dans toute l’Amérique latine, (Guatemala, Salvador, Honduras, Pérou et Paraguay), pour les transformer en huiles essentielles et absolus pour l’industrie du parfum. “Nous avons développé une méthodologie interne divisée en 6 points fondamentaux, simples et lisibles pour nos clients, car la durabilité est multidimensionnelle : prix équitables, protection des sols, transmission du savoir-faire de génération en génération”. Grâce à cette méthodologie, Nelixia a été audité avec succès sur l’ensemble de son catalogue sous les standards UEBT, Fairwild ou Rainforest Alliance.

Le sourcing responsable implique en outre de respecter la biodiversité, les droits de l’homme, et de nouer des relations équitables avec les producteurs. Intégrer tous ces facteurs constitue l’adn de Jacarandas, dont l’un des membres fondateurs a créé et dirigé un département exclusivement dédié à la mise en place et à la gestion des filières de production à travers une politique de formation, d’accompagnement et de certification. Ces programmes sont co-développés avec des organismes internationaux qui apportent leur expertise dans le domaine social, de la santé ou de l’éducation. Une complexité que Nelixia gère grâce à des plans d’action adaptés à chaque ingrédient et à chaque secteur. “La cardamome est l’un de nos principaux ingrédients. Nous avons un plan d’action de haut niveau pour l’ingrédient mais nous avons ensuite 18 plans d’action différents pour nos chaînes de valeur. Nous ne pouvons pas travailler de la même manière avec une communauté qui vit en bordure d’une réserve naturelle qu’avec une communauté entourée par la civilisation”.

Des réponses face aux défis spécifiques à chaque culture.

Chaque chaîne de valeur a ses propres défis, liés à ceux de la communauté et du pays. The Agroforex Company, producteur de benjoin et d’aquilaria au Laos, a dû affronter une crise climatique en 2015, dont les pluies verglaçantes ont anéanti des pans entiers du domaine styraxicole. “Nous avons d’abord initié un programme de conservation sur plusieurs centaines d’hectares, une démarche inhabituelle dans le secteur privé. Aujourd’hui, nous avons engagé un programme novateur de redéploiement de la styraxiculture, visant à stabiliser et consolider ce qui a été défini et promu dès 1995. Nous entreprenons la mise en place dans certaines zones d’une nouvelle option de contract farming”.

Autre problème majeur, la disponibilité de l’eau. Un souci croissant en Inde, pour la culture du jasmin Grandiflorum. Jasmine CE PVT a donc adopté un programme complet de gestion de l’eau : mesures des sources d’eau et de la consommation de chaque agriculteur, récolte de l’eau de pluie pour la stocker dans des réservoirs ou puits de forage, former les agriculteurs à l’utilisation efficace de l’eau.

En France, les variations de la pluviométrie, avec alternance de périodes de sécheresse suivies de fortes pluies, favorisent le développement d’insectes ravageurs et accélèrent le dépérissement des plantes. Un défi que SCA3P a surmonté “par la recherche et le développement de variétés plus résistantes. Certains producteurs utilisent des cultures de couverture hivernale entre les rangs de Lavandin, qui sont des mélanges de crucifères et de graminées. Ces espèces stockent l’eau, le carbone et les éléments contenus dans le sol, notamment les nitrates. Elles permettent également d’aérer et d’ameublir le sol, tout en limitant l’érosion. Ces cultures de couverture sont broyées au début du printemps afin d’apporter de la matière organique au sol et de restaurer les éléments nutritifs pour la saison suivante”.

Ces entrepreneurs responsables, qui œuvrent au quotidien pour optimiser leurs pratiques, attendent un engagement à long terme de la part de l’industrie, adapté aux enjeux et défis actuels. Un soutien qui implique notamment des partenariats de plusieurs années avec leurs clients. “Nous souhaitons vivement une nouvelle orientation de l’entreprise – du profit aux personnes.”, explique Enio Bonchev. “Avec, par exemple, des contrats de 3 à 5 ans avec des volumes minimums fixes, des prix équitables, et des incitations financières basées sur la valeur de la durabilité et non sur les économies d’argent.”

Le Congrès Mondial de la Parfumerie (WPC) offre donc aux producteurs l’opportunité de révéler les exigences de leur métier. Mais aussi de souligner l’intérêt qu’ont les différents acteurs de l’industrie du parfum (producteurs, transformateurs, fabricants et grandes marques) à s’unir pour améliorer la compétitivité de l’approvisionnement responsable d’ingrédients naturels.

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