Rencontre avec Yohan Cervi, journaliste, auteur et spécialiste de la parfumerie contemporaine

Par Marie-Bénédicte Gauthier
Écrivains, journalistes, influenceurs, évaluateurs, collectionneurs… l’interview olfactive des accros au parfum.
Spécialiste de la parfumerie contemporaine, journaliste pour Le Point et Nez la revue olfactive, auteur de livres dont Une histoire du Parfum 1880-2020 (Nez Éditions), consultant et enseignant… Yohan Cervi aime trouver des passerelles entre les champs de l’art et du parfum avec en filigrane une obsession : l’émotion que cela procure. Interview.
Votre premier choc olfactif
N° 5 de Chanel imprègne depuis toujours ou presque mon imaginaire. A 8 ans, alors que ma mère le portait, je lui ai dit : « Oh, ça sent beau ». J’avais, de manière inconsciente, remplacé bon par beau … Ce parfum était déjà pour moi plus qu’une odeur. J’y voyais des couleurs, je l’associais à l’espace – j’avais pour rêve de devenir astronaute -, les nuits étoilées, l’infini. N°5 est peut-être le parfum que j’ai le plus porté, d’abord timidement à l’adolescence, parce que je n’osais pas encore porter des parfums dits « féminins », avant d’en faire une consommation effrénée. Puis L’heure bleue de Guerlain, Paris d’Yves Saint Laurent, Diorissimo de Dior, les parfums que j’ai connus sur mes proches, les gens que j’ai aimés.
Une autre révélation est partie du film Les Désaxés de John Huston (1961), que j’ai découvert à l’âge de douze ans. J’y ai associé le parfum Sables d’Annick Goutal, sec, fumé, brûlant, qui m’évoquait la chaleur du désert du Nevada, décor aride de ce film crépusculaire, le dernier rôle de Marilyn.




Vos derniers chocs olfactifs
2024 a été une année riche en coups de cœur, difficile de tous les citer. Je songe à Comète de Chanel, un parfum qui réinterprète les grands accords poudrés avec beaucoup d’élégance, ainsi qu’à Acne Studios par Frédéric Malle, une création remarquable, à la propreté immaculée. Egalement APOM de Maison Francis Kurkdjian, une ode à l’héritage d’une grande parfumerie sans aucun tic passéiste, avec un départ lavande très équilibré, une fleur d’oranger toute en douceur. Mais aussi deux chyprés : Aristo Chypre chez Infiniment Coty Paris et son patchouli dense traversé de rose, et Barénia d’Hermès, où Christine Nagel réinterprète avec brio cette famille olfactive dans un registre très contemporain. Enfin, je citerais le très beau LV Lovers de Louis Vuitton, la collection des Extraits chez Matière Première, New Look de Dior, Absolue le Parfum de Lancôme, Shalimar Millésime Jasmin de Guerlain et Un Bel Amour d’Eté de Parfum d’Empire…Quand je vois toutes ces belles créations, je suis très optimiste pour l’avenir de la parfumerie.




L’objet de convoitise
Je suis plutôt comblé. J’achète des bougies, rien d’original, mais c’est assez nouveau pour moi. Avant, j’avais pour habitude de vaporiser des grands parfums, par exemple sur mes rideaux ! Aujourd’hui, je les trouve de plus en plus signées et sophistiquées. Mes préférées sont celles de Trudon, de Diptyque et de Frédéric Malle, des sans faute.



Vos matières premières fétiches
Pour moi, ce serait un ingrédient de synthèse, particulièrement les ionones, aux notes hybrides d’iris et de violette un peu simples, mais qui me font chavirer … Bien sûr, j’aime les naturels, comme l’absolu de jasmin grandiflorum mais je trouve, par exemple, un absolu d’iris presque trop impressionnant et intimidant.
Celles que vous appréciez le moins
Certains bois ambrés un peu trop nerveux qui semblent prendre toute la place. Je ne parle pas ici de l’Ambrox ou du Cashmeran, que j’apprécie beaucoup.
Le parfum que vous aimez sur vous
Aïe, difficile à dire, j’en ai tant. Je change de parfum deux fois par jour, comme on changerait de tenue. Un dans la journée, un autre le soir, pour dormir. Bien sûr, j’ai quelques fétiches : N°5 et Cuir de Russie de Chanel, Diorissimo de Dior, L’Heure bleue de Guerlain, Bois de violette de Serge Lutens, Femme de Rochas, Myriad de Louis Vuitton, Tabac Blond de Caron, Galop d’Hermès, Musc Ravageur des Editions de Parfums Frédéric Malle…


Celui que vous aimez sentir sur les autres
Shalimar, un parfum que j’adore, mais que je trouve encore plus beau sur les autres. Dès que je le croise sur quelqu’un, je suis plongé dans un état de ravissement.

L’odeur qui pue mais qu’on adore
Deux ! L’univers des écuries avec cette dualité animale-végétale, entre attraction et répulsion. Et l’odeur de la ligne 6 du métro, ce côté caoutchouc chauffé. Cette ligne m’évoque les promenades dans Paris avec ma grand-mère, quand j’étais enfant. Ca m’émeut toujours de l’emprunter, mais le remplacement des anciennes rames va faire disparaître ces effluves…Il est toujours difficile de faire le deuil des odeurs que l’on a aimées, ces petites capsules spatio temporelles.
L’odeur cosmétique fétiche
Toujours l’odeur de violette, celle des météorites de Guerlain. Unique !
La place que le parfum prend chez vous ?
Physiquement, beaucoup de place…J’ai des armoires où je classe : floraux, hespéridés, chyprés, cuirs, ambrés, chaque « famille » étant associée à une saison : printemps, été, automne, hiver. C’est comme ça que je m’y retrouve. Et puis, pour les plus anciens, j’ai une grande cave à vins à température constante de 12°…Mais ces parfums doivent vivre. J’aime les partager et les faire découvrir lors de mes conférences, ainsi qu’aux étudiants de l’Ecole Supérieure du Parfum, où j’enseigne.
L’odeur de demain
L’odeur des fleurs encore jamais capturées. Il y a encore tant à sentir !