Par Lionel Paillès
Il y a une forme d’audace, et peut-être d’inconscience, à vouloir relancer une marque disparue dans les années 1950 et presque oubliée de tous. Surtout quand on n’a pas 30 ans et qu’on termine à peine ses études. C’est précisément ce qui est arrivé à Anthony Toulemonde, Paul Richardot et Victorien Sirot, trois étudiants de l’ESP (École Supérieure du Parfum). Passionnés par la parfumerie classique, nourris par leurs cours d’histoire de la parfumerie, les trois garçons courent les conférences à l’Osmothèque (le conservatoire du parfum) et les brocantes, à la recherche de quelques flacons vintage. C’est complètement par hasard qu’ils tombent sur un nom surgi du passé : Violet. Et voilà les trois garçons lancés dans ce qui ressemble à une enquête pour redonner à ce nom une réalité, une histoire.


Ils ne tardent pas à apprendre que Violet fut fondée en 1827 par François-Etienne Violet, un an avant que Guerlain n’émerge. Aux côtés des maisons Lubin et Piver, Violet incarne dans ces années-là la belle parfumerie parisienne. Très vite, la société sera cotée en bourse, exportera ses produits jusqu’en Russie et aux Etats-Unis, s’équipera d’une usine de plus de 250 ouvriers et ouvrira à Paris une boutique de prestige, qui occupe les cinq arcades du Grand Hôtel, au 12 boulevard des Capucines. Sa devanture indique “A la reine des abeilles”. L’insecte étant le symbole des maisons qui fournissent les cours royales. Forme d’adoubement, Violet deviendra aussi le fournisseur officiel de l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, et d’Isabelle II d’Espagne. Après pas mal de péripéties, la maison cesse toute activité en 1953.

Après avoir acquis la marque et pas beaucoup plus, les trois jeunes parfumeurs ne se sentent pas encore toute la légitimité pour assumer la création des parfums. Ils se tournent donc vers Nathalie Lorson, maître parfumeur chez DSM-Firmenich, rencontrée à l’occasion d’une conférence à l’école. Séduite par leur enthousiasme communicatif, elle décide de les accompagner dans leur projet un peu fou.


Impossible de retrouver la moindre formule mais Anthony, Paul et Victorien tombent au gré de leurs pérégrinations sur quelques flacons emprisonnant encore un peu du parfum d’autrefois. Parfois ils repartent du nom d’origine pour imaginer le parfum disparu dans les méandres du temps. Il peut même arriver qu’ils aient en leur possession un flacon mais que le nom ne leur paraisse pas coller au parfum : c’est le cas de Nuée bleue, un floral aldéhydé qui reproduit l’odeur du calme avant l’orage.
Il y a un fil rouge qu’on retrouve dans la dizaine de créations : l’iris pallida, l’une de leurs matières premières préférées et marqueur d’une Haute parfumerie classique. L’idée du trio est moins de faire renaître une parfumerie disparue que de faire comme si l’histoire se poursuivait aujourd’hui. « Le lyrisme de l’époque nous semblait avoir sa pertinence, de même que l’abstraction qui différencie la marque de la tendance de la niche à mettre en avant l’ingrédient », explique Anthony Toulemonde. La belle endormie est finalement ramenée à la vie en novembre 2017 avec trois premiers parfums. En marge de la collection “Héritage”, Cycle 001 et 002 proposent une vision purement contemporaine de la parfumerie sous la forme de séries limitées. Les deux sont épuisés mais à la demande des clients, le premier ressortira bientôt dans une nouvelle collection. À la tête de l’entreprise, les rôles sont bien répartis : à Victorien la partie administrative et financière ainsi que le suivi de la production. Anthony se charge plutôt de la création avec le parfumeur Nathalie Lorson et joue les porte-parole de la marque. Paul, lui, se charge du storytelling et des inspirations créatives.
Les recherches sur le passé glorieux de Violet se poursuivent et les trois créateurs finissent par connaître la marque mieux que les historiens du parfum qu’ils interrogent de temps à autre. L’exemple de Compliment est à ce sujet fascinant : « Nous ne savions pas ce que sentait ce parfum alors nous avons décidé avec Nathalie de travailler un bouquet de fleurs blanches. Après son lancement, nous sommes tombés sur un vieux flacon : il était effectivement construit autour d’un accord de fleurs blanches ». Chaque jour, cette marque révèle un peu plus ses secrets. En Pologne, une personne a ainsi retrouvé un bâton de rouge à lèvres Violet en se promenant en forêt. Une autre personne a contacté le trio pour dater un flacon d’eau de Cologne qu’elle venait de retrouver au fond d’un puit. « Il y a quelques semaines, une étudiante en art, missionnée par le Moulin Rouge, a pris contact pour une collaboration, en nous révélant au passage que la marque parfumait autrefois les spectacles du cabaret », raconte Anthony Toulemonde.
L’histoire de Violet n’en finit pas de surprendre par sa richesse et sa créativité. Anthony Toulemonde, Victorien Sirot et Paul Richardot ont déjà réussi leur pari : la marque est déjà présente dans 25 pays, de Taiwan à la Pologne, des Etats-Unis au Japon. Pour Rêver, 10ème création de Maison Violet (le mot maison apparaîtra bientôt sur les nouveaux packagings), vient tout juste d’être dévoilée et au printemps prochain, ces trois garçons dans le vent présenteront leur nouvelle collection “signature”, inspirée par leurs propres souvenirs.

Parfums disponibles dans les points de vente au prix de 100 euros/50ml et 170 euros/100ml. maisonviolet.com
Maison Violet racontée en 3 parfums
1.Un air d’apogée | Originellement baptisé Apogée, ce parfum est une réinterprétation de la note cuir. On y trouve un absolu tabac, des facettes cuirées et un cœur lumineux de mimosa.



2. Sketch | Un accord ambré-épicé suprêmement charismatique, rétro mais pas trop, boosté par la puissance incendiaire de la tubéreuse, de la muscade et du patchouli.

3. Pour rêver | Un délicieux accord de noisette et de marron glacé, enrobé de rhum et de cacao. Le bois de gaïac, la myrrhe et l’iris apportent profondeur et élégance à cette pulsion irrépressible de gourmandise.

