Par Axelle de Larminat
Chaque année, la Creative Week met en avant le travail du studio de création qui fait partie de Cinquième Sens. L’objectif de cette année était d’explorer le rapport des parfumeurs à l’intelligence artificielle : exploiter ses ressources, la challenger, bref de collaborer avec elle sans a priori. « Il ne faut pas avoir peur de l’IA, c’est un outil supplémentaire pour le parfumeur, » nous déclare Isabelle Ferrand, CEO de Cinquième Sens. Démonstration.
Hologramme, réalité virtuelle et olfaction
L’équipe de Cinquième Sens nous guide dans son parcours de quatre ateliers. Pour donner le ton, chacun est introduit par une courte présentation sur une hélice holographique futuriste mise en place par Hyper H.O.L.
En guise d’introduction, Sarah Burri, Isabelle Ferrand, Camille Leguay, Alice Dattée et Véronika Csatlovsky ont composé chacune une odeur qui renvoie au monde de demain : Plastic Sea, Robot, Sillage 404, Le Jardin Perdu et Utopie. Chaque parfum est scénographié dans une séquence visuelle et sonore. On porte alors un casque de réalité virtuelle augmenté par le dispositif olfactif créé par la start-up OLFY, qui permet une diffusion synchronisée des parfums. Une expérience immersive où l’olfaction tangible converge avec des univers virtuels générés artificiellement.
Un brief écrit par Chat GPT
Le deuxième atelier nous embarque dans le processus de création. Il s’appuie sur un cas réel et a été conçu en collaboration avec la société Eco French Lab, spécialiste en marketing olfactif. « Nous avons récemment reçu un brief d’un nouveau type, un brief écrit par Chat GPT. Et ceci en toute transparence comme l’a spécifié la maison de joaillerie, qui nous a sollicités pour créer son parfum, » relatent Anne-Marie Spencer et Pierrine Miclo Rayssiguier Eco French Lab. La collaboration (bien réelle) avec Cinquième Sens a débouché sur quatre pistes de création : deux propositions issues du brief Chat GPT et deux autres issues d’un brief plus émotionnel. Ces fragrances nous sont alors présentées sur des supports de pierre de lave. « Mettez-vous à présent dans la peau du client et sentez-les. Lequel choisiriez-vous ? » nous demande-t-on.
Lors de cet atelier, environ 50 % des participants, pour la plupart professionnels du parfum, ont pu discerner les parfums issus du brief Chat GPT de ceux du brief plus émotionnel élaboré par Eco French Lab. « Cet exercice à partir de la pyramide des ingrédients recommandés par Chat GPT peut donner lieu à des compositions très différentes. Chaque parfumeur peut choisir de mettre en valeur tel ou tel ingrédient dans la formulation. Il y a une bonne part laissée à l’interprétation. » nuance Isabelle Ferrand. Le client, quant à lui, a finalement été séduit par un parfum écrit sans l’IA !
Chat GPT est une plate-forme d’intelligence artificielle générative, avec laquelle on peut dialoguer très facilement par le biais du langage. À la différence des IA internes des maisons de composition, elle n’est pas spécifiquement entraînée par des parfumeurs. Mais elle peut aller loin dans ses propositions : « Désormais, la version payante de Chat GPT peut aller jusqu’à fournir une formulation précise des ingrédients sous forme d’un tableau Excel qu’elle juge exploitable en laboratoire. Le regard d’un expert reste toutefois indispensable. » confie Isabelle Ferrand.
Regarder plus loin
L’atelier suivant sonde les goûts de la toute jeune génération Alpha, celle née entre 2010 et 2015. Camille Leguay, parfumeur, s’est appuyée sur une étude menée en profondeur par la plate-forme Sensia, qui traite via une IA des millions de signaux faibles recueillis sur les réseaux sociaux comme TikTok, ainsi que les avis en ligne. Les prompts envoyés sur cette plate-forme permettent de cibler très précisément les attentes à analyser.
Ces très jeunes consommateurs de parfum recherchent des fragrances figuratives et appétentes, avec un vrai engouement pour les fruits qui expriment aussi de la naturalité. « L’étude a fait remonter la cerise, davantage que la banane que l’on attendait. L’une des recommandations portait sur un accord cerise, poire, crumble, que j’ai choisi d’interpréter, » raconte Camille qui a ainsi créé SugarBloom. Ce parfum nous est présenté sous une forme tactile dans un sac contenant des grains de millet qui fixent l’odeur et la déposent sur la main.
« Je pense que l’IA nous emmène vers une réflexion sur ce que sera la parfumerie de demain. On ne doit pas seulement se projeter à 5 ans mais plutôt à 10 ou 20 ans. C’est le but de notre collaboration avec la plate-forme Sensia, qui a mis en évidence les goûts actuels de la génération Alpha. Il faut s’interroger sur ce qu’elle aime dans le parfum et sa façon de se parfumer, » pointe Isabelle Ferrand.
Vers une symbiose homme-machine ?
Avec le parfum Open Source, Sarah Burri a réalisé une mise en abîme en questionnant Chat GPT sur sa vision de sa propre odeur qui fusionnerait avec celle du monde humain. Elle a clairement attribué à l’IA le rôle de la direction artistique. Les prompts montrent un échange nourri autour de différentes directions. Un vrai brainstorming. L’IA propose plusieurs alternatives séduisantes et sollicite à chaque étape un avis pour avancer.
Finalement la machine propose une odeur qui lui ressemble par une dimension éthérée qui vibre (Muscane), des notes ozoniques et métalliques, une base boisée mais digitalisée (un cèdre ultra-lisse poli comme une interface tactile), une note de bois synthétique et futuriste, (par exemple ISO E Super ou Timbersilk). Puis, pour rattacher ce parfum au monde humain, l’IA propose des notes vertes abstraites comme un cyprès bleuté ou un sapin argenté.
Dans ces échanges Sarah Burri a trouvé matière à composer. Le parfum co-créé avec l’IA est diffusé par micro-nébulisation dans un dispositif cubique de Eco French Lab pilotable par une appli. Sur la base de l’expertise parfum propre à Cinquième Sens, cette Intelligence Week ouvre d’autres perspectives de création. De nouveaux terrains de jeux à explorer, rapidement.