Par Axelle de Larminat

©dsm-firmenich.
Elle aime comparer l’art de la parfumerie à celui du jardinage car chacun requiert « de l’amour, de la patience et une main habile ». C’est donc tout naturellement que la créatrice de parfums tels qu’Organza pour Givenchy ou Jasmin Noir pour Bvlgari a contribué à l’ouvrage « Botanique Olfactive » de Giulio Giorgi. Ce livre présente 52 espèces de plantes classées par saison sous l’angle de leurs parfums. Entre deux univers, celui du vivant et celui du parfum, nez à nez avec Sophie Labbé, parfumeur principal chez dsm-firmenich.
Quand vous repensez à la campagne de Charente-Maritime où vous avez grandi, quelles odeurs ressurgissent spontanément ?
Quand je pense à cette région, je me souviens d’abord du jardin de mes grands-parents maternels et de ses dahlias. Ces fleurs anciennes ne dégagent pas de parfum mais leurs tiges sentent très bon et j’apprécie énormément leurs notes vertes d’angélique. Je me rappelle aussi des seringas au printemps. Le jardin de mes grands-parents paternels reste associé à ses glycines.
Je repense aussi aux chais et aux vendanges début octobre caractérisées par des notes d’humus humide et celles des raisins. J’aimais particulièrement l’odeur un peu froide des chais rappelant les notes de l’ambre gris et les notes profondes de terre, un peu camphrées.
L’été, je sentais l’odeur ensoleillée des moissons, de la paille et des graines. Je me rappelle aussi de dimanche sur la côte sauvage. J’ai le souvenir d’embruns, de pins maritimes, des immortelles qui embaument et qui envahissent les dunes de la côte atlantique de leurs notes salées, sirop d’érable, de peau chauffée au soleil. Des odeurs d’Ambre Solaire flottaient aussi en bordure de plage. Un mélange addictif.
Parmi vos créations, lesquelles portent l’empreinte de votre amour de la nature ?
Je crois que toutes mes créations parlent de cet amour de la nature car je démarre très souvent avec l’idée d’un ingrédient naturel. C’est ma première source d’inspiration, que j’associe ensuite avec des molécules de recherche.
Ainsi, pour la collection Le Gemme de Bvlgari, l’histoire repose sur un ingrédient très exclusif qui suggère la pierre sur laquelle nous travaillons. J’ai choisi une plante qui pousse dans le pays dont elle est issue de façon à créer une résonance. Pour Orom, la Vanille de Madagascar qui représente la Labradorite et ses reflets changeants. Pour Amunae, le Jasmin Grandiflorum d’Inde figure la blancheur laiteuse et opaque de la Pierre de Lune. Lorsque l’on pense à la nature, ces associations se font de façon très cohérente.


J’ai eu également beaucoup de plaisir à travailler à partir de l’odeur d’un bouquet brut et naturel sur l’édition limitée du parfum Seeds of Life pour la fleuriste, Sophie Jankowski qui a créé Murs à Fleurs, une ferme florale à Montreuil.
Pourriez-vous nous décrire avec vos mots de parfumeur le parfum d’une fleur que vous appréciez ?
Il s’agit d’une fleur dite muette, dont on ne peut pas extraire l’huile essentielle. Pour moi, l’odeur du gardénia est très intéressante. Figurez-vous que j’ai découvert une description de ce parfum par Colette dans son livre Pour un herbier. Elle l’évoque à la façon d’un parfumeur. Elle perçoit une note de mousseron, qui rappelle celle du champignon de Paris, et dont le caractère lacté et crémeux suggère les pétales blancs, nacrés et charnus. Or en laboratoire, on utilise justement des lactones en association avec des notes vertes légèrement croquantes et contrastées pour reconstituer le parfum du gardénia. Je trouve cette fleur aux notes lactées envoutante. Elle a le potentiel d’une fleur fatale comme la tubéreuse, mais d’une façon plus tendre et plus juvénile.
En tant que parfumeur, je pense que c’est important de passer par les mots pour décrire les odeurs car c’est ce qui fait naître toutes les idées de création. Dans le livre Botanique Olfactive, chaque plante est rattachée aux grandes familles de fragrances et est caractérisée par des molécules qui permettent d’imaginer son odeur, comme celle de l’alcool phényléthylique avec ses notes miellées et rosées. Cette idée est novatrice.


Agronome et Paysagiste – édition Nez Culture
Pouvez-vous nous parler de parfums où vous avez cherché à restituer une atmosphère bucolique ?
Pour Eau des Jardins de Clarins j’ai retranscrit une promenade matinale dans un jardin. J’ai introduit des notes d’agrumes très fraîches pour symboliser la lumière éblouissante et des facettes végétales très vertes de feuillage et de cèdre ainsi que des pétales gorgés de rosée. Ce parfum transmet l’impression d’une nature fraîche et vivifiante.
Vadrouille d’Abeille, un parfum composé pour accompagner le lancement du livre Botanique Olfactive. L’auteur Giulio Giorgi est un botaniste qui, fait rare, s’intéresse à l’olfaction. Il a souhaité que j’imagine le parcours d’une abeille au printemps. J’ai relié cette fragrance à la fleur de mimosa car je trouve qu’elle représente parfaitement le pollen par la couleur de ses grains, sa texture vaporeuse et son odeur aux facettes miellées, végétales et solaires. J’ai donc imaginé cette note d’absolu de mimosa et je l’ai combinée avec un nectar rosé, car la rose a aussi parfois des facettes miellées ou même artichaut. La baie rose apporte sa pétillance et donne une inflexion dynamique très fusante. Le genièvre, que l’on peut trouver dans les jardins amène une naturalité aromatique.
Avez-vous d’autres sources d’inspiration ou jardins secrets qui influencent vos créations ?
J’ai fait l’acquisition d’un beau livre qui réunit des gouaches et aquarelles sur vélin appartenant au Museum national d’Histoire Naturelle. J’ai installé cet ouvrage sur un chevalet et je l’ouvre au hasard tous les matins pour regarder une planche botanique. Ces illustrations de toute beauté m’émerveillent et m’inspirent. Je peux être interpellée par un nom savant en latin ou une fleur particulière… Cette sorte de routine me donne des idées de plantes sur lesquelles je n’ai jamais travaillé, ou même de nom car, pour moi, il est important de donner un nom juste à chaque création.



J’ai aussi un jardin en Charente-Maritime où je fais pousser une « jachère fleurie » composée de fleurs mellifères qui attirent les abeilles par leurs odeurs et leurs couleurs. En fait, cette passion pour la nature me suit depuis des années…
Quelle matière vous a séduite récemment, et fait désormais partie de votre palette de parfumeur ?
J’ai eu l’occasion d’aller cet été sur l’île de la Réunion qui est un vrai jardin de parfumeur, entre vanille, vétiver et géranium… J’ai vécu la récolte des feuilles de Géranium Rosa et j’ai été remplie par cette odeur. Elle était démultipliée car dsm-firmenich sponsorise une machine qui permet de couper de grandes quantités de feuilles en même temps. Le fait d’avoir vécu cette expérience grandeur nature m’a permis de m’approprier cette matière, d’en trouver la clé.
Je suis entrée dans un nuage parfumé, et depuis, j’utilise beaucoup ce Géranium Bourbon. Il possède des notes florales et rosées, des inflexions fruitées-litchi, qui diffèrent de celles citron-citronnelle que l’on sent habituellement dans ces plantes.
Dans quels parcs parisiens pourrait-on vous croiser, penchée sur une fleur pour mieux la respirer ?
Au printemps, je fréquente le Jardin de Bagatelle une fois par semaine pour aller voir les iris dont la floraison s’étale sur tout le mois de Mars. C’est une fleur noble, dont la forme a inspiré le motif de la fleur de lys. Si on utilise ses racines pour la parfumerie, les fleurs naturelles ont leur propre parfum qui est souvent lié à la couleur des pétales. Les plus foncées ont des notes vanille-chocolat, les jaune-orangés rappellent les notes fraîches des mandarines. J’aime aussi les pivoines et les roses de Bagatelle.

Je vais au Jardin Albert Kahn pour son ambiance japonisante méditative et apaisante. J’ai découvert avec plaisir les jardins de l’école du Breuil et j’apprécie le Parc Floral, qui est immense. Lorsque je voyage, je visite les jardins botaniques. J’adore aussi participer aux récoltes des plantes à parfum, comme celle du Jasmin à Grasse, et sentir les plantes sur pied. En tant que parfumeur, cela me donne des idées.
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui partiront en « safari d’odeurs » après la lecture du livre de Giulio Giorgi afin d’enrichir leur bibliothèque olfactive ?
En « safari d’odeurs », il ne faut avoir peur d’accepter ce que l’on ressent. Rien n’est faux, même si l’on n’est pas un professionnel de l’olfaction. Tout a une vérité à partir du moment où on le vit en soi. Je conseille de fermer les yeux lorsque l’on sent pour être mieux concentré et trouver ses propres descripteurs d’odeurs. On peut se faire une bibliothèque olfactive à partir de chaque plante en l’associant à des mots du quotidien : poudré, miellé…
Cela peut aussi devenir un jeu de deviner à l’aveugle le nom d’une plante ou d’associer les fleurs sous forme de bouquet d’odeurs et par affinités olfactives, plutôt que par leur couleur.
« Botanique Olfactive – sentir la nature au fil des saisons » de Giulio Giorgi – Ingénieur Agronome et Paysagiste – édition Nez Culture