Karine Lebret, itinéraire d’une femme de flair

Par Marie-Bénédicte Gauthier

Karine Lebret, Directrice Internationale Métier Parfum du Groupe L’Oréal
©CédricDoux

Son métier ? Diriger le métier parfum pour le groupe L’Oréal, chuchoter à l’oreille des marques, des parfumeurs et des consommateurs pour imaginer un futur radieux. Celui d’une parfumerie qui fait sens. Pour la Fragrance Foundation France, elle revient sur son parcours et livre sa vision du parfum : un pilier stratégique de la beauté et de la culture contemporaine.

Vous êtes Directrice Internationale pour le métier parfum du groupe L’Oréal. Un métier rare. Pouvez-vous évoquer votre parcours ?

À l’origine, je suis pharmacienne, formée à Marseille. Très vite, j’ai bifurqué vers Grasse où j’ai découvert la parfumerie. Un univers auquel j’ai tout de suite été sensible, moi qui avais la passion de la danse classique et de l’art. Je suis alors rentrée chez Robertet dans le département chromatographie, ce qui m’a donné une base solide en analyse parfum. Puis j’ai poursuivi chez Givaudan, avant de rejoindre L’Oréal en 1998, recrutée par Patricia Turck-Paquelier, une femme visionnaire qui voulait professionnaliser le métier du parfum au sein du groupe.

Vous avez immédiatement créé ce qu’on appelle la « cellule olfactive » ?

J’ai d’abord passé du temps au Marketing, ça m’a permis de comprendre toutes les étapes de la création de parfum, puis j’ai créé la cellule en 2002 pour professionnaliser le développement parfum. A cette époque nous travaillions au service de marques telles que Lancôme, Cacharel, Paloma Picasso, Lanvin. Le nom Cellule Olfactive (aujourd’hui Métier Parfum) est né du fait que j’étais seule au départ… Désormais nous sommes plus de cent experts, répartis dans 9 régions : États Unis, Brésil, Chine, Japon, Corée, Inde, Moyen-Orient, Afrique du Sud et France : les centres névralgiques d’influence. Tout évolue très vite, des régions comme le Moyen-Orient deviennent très influentes.  Le parfum est devenu un langage universel, et notre rôle est de comprendre les aspirations locales pour anticiper les tendances mondiales.

Comment le rapport au parfum a-t-il évolué dans le monde ?

L’explosion est incroyable. Le parfum n’est plus réservé à quelques initiés : « Il est source de plaisir, d’émotion, de culture » comme l’indique Alice Kubiak, notre Fragrance Market Intelligence & Communication International Director, qui travaille à mes côtés.  Les consommateurs sont devenus experts et curieux. Ils veulent vivre des expériences sensorielles dans toutes les catégories de produits de beauté.

Le métier Parfum travaille aussi bien pour la fine fragrance que les soins ou l’hygiène ?

Oui absolument, et nous favorisons « la Cross-fertilisation », terme pour désigner en interne le fait de croiser nos expertises. D’autant que la routine parfumée des consommateurs a beaucoup évolué. Le layering peut se faire entre une brume pour cheveux, une lotion pour le corps et un parfum par exemple … Toutes les combinaisons sont gagnantes, pour peu qu’on sache personnaliser son sillage. C’est pourquoi l’implication du Métier Parfum touche toutes les divisions du groupe L’Oréal. Avec un taux de croissance exceptionnel au sein du groupe. 

En somme, vous orchestrez des talents ?

Oui sans enfermer la créativité, et à partir de multiples études réalisées en interne sur les désirs des consommateurs et les aspirations de la société, car le parfum, au-delà de sa fonction esthétique, est un puissant marqueur culturel et sociétal. Les parfumeurs avec qui nous collaborons vont inventer les signatures de demain. Ici on ne parle pas encore du travail avec les marques, mais de création par anticipation.

La pandémie a-t-elle marqué un tournant ?

Oui, il y a un avant et un après-Covid. Nous avons pris conscience que l’odorat est vital : il relie à soi, aux autres, il nourrit la mémoire, c’est un refuge, une bulle protectrice. 

Quelles sont les grandes influences actuelles ?

Le Moyen-Orient a une influence majeure, avec le oud, les bois, les épices, le café ou le cacao. L’Asie, elle, réinvente la gourmandise : en Chine, par exemple, elle est lactée, légère, mousseuse.

L’innovation est-elle un moteur ?

Absolument. Nous développons, avec nos partenaires, des technologies vertes d’extraction, des partenariats scientifiques, des méthodes inédites. Par exemple, Osmobloom™  est une nouvelle technologie d’extraction développée par notre partenaire Cosmo International Fragrances, qui permet d’extraire toutes les fleurs, dont celles dites muettes. C’est une belle initiative pour la création. Le premier extrait Osmobloom™ de Tubéreuse a été lancé sur le parfum Private Talk de Valentino.

Extraction de Tubéreuse ©AgenceOdds
Fleurs de Tubéreuse ©CosmoInternationalFragrances

Vous insistez sur la narration olfactive…

Oui. Aujourd’hui, l’art de raconter un parfum est aussi important que la création. Un récit peut suffire à faire acheter un parfum sans l’avoir senti. C’est ce que nous appelons le « story smelling ». Nous œuvrons avec les marques pour leur donner des récits olfactifs cohérents avec leur univers et à la hauteur de leurs parfums.

Vous organisez aussi des expositions…

Nous avons lancé « The Art and Science of Fragrance » pour montrer les coulisses de la création. Nous l’avons présentée à Paris et à Shanghai. Et nous rêvons d’aller plus loin, de partager encore davantage. Le parfum est culture : il doit être transmis, raconté, exposé, comme vous pouvez le faire à la Fragrance Foundation France. On passe du récit olfactif au flacon, objet qui reste dans le temps et l’imaginaire au même titre que le parfum. C’est un sujet de passion, de conversation, d’échange, et d’association.

Quelles sont les prochaines étapes pour L’Oréal ?

Nous continuons d’enrichir notre portefeuille de marques et nous intensifions le dialogue entre mode et parfums. Miu Miu et Jacquemus en sont de beaux exemples. Nous avons aussi créé un laboratoire expérimental dédié à la haute parfumerie, pour pousser plus loin la créativité.

Votre conviction la plus forte ?

Le parfum n’est plus un simple accessoire. Il est devenu un pilier de la beauté, mais aussi de la culture contemporaine.

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