Pour le fondateur de Noème, le parfum est un voyage vers l’infini

Yassin Karim, fondateur de Noème Paris ©Noème

D’origine Indienne, Yassin Karim a baigné dans l’univers des matières premières malgache, avant de lancer sa marque. Itinéraire d’un amoureux du parfum qui ne connait pas de limites.

Par Marie Bénédicte Gauthier

Enfant, à Madagascar, vous avez grandi au sein d’exploitations de matières premières. Pouvez vous nous décrire cet environnement ?

Mon grand-père est arrivé d’Inde en 1885, Il a travaillé la terre puis mon père est devenu l’un des plus importants exportateurs de matières premières qui font la richesse de Madagascar. Quand on évolue une partie de son enfance au milieu des effluves de Ylang Ylang, vanille, épices, clous de girofles on développe une acuité olfactive particulière. Il y avait les terroirs, bien sûr mais aussi les entrepôts, mon père produisait par exemple une essence de clou de girofle de manière artisanale qu’on exportait en fut métallique à des sociétés comme Givaudan qui achetait 80 % de notre production !

Ça vous a tout de suite donné envie de travailler dans le parfum ?

Non, disons que j’étais plutôt initié aux matières premières sans avoir l’idée d’en faire mon métier. Je suis parti étudier à Paris, j’ai exercé plusieurs activités, et puis ça m’a rattrapé, j’ai d’abord mis à profit ma connaissance des matières premières avant de me lancer dans ce que je pourrais décrire comme mon rêve inconscient : créer ma marque, en collaboration au départ avec Madja Bekkali.

Comment s’est imposé le nom Noème ?

C’est un concept philosophique qui a toujours stimulé mon imaginaire. Il vient du Grec, noéma qui veut dire ce qui est pensé. Les philosophes en ont eu des conceptions différentes. Selon Edmond Hurssel, par exemple (penseur du XXe siècle), le noème serait une forme de conscience transcendantale. J’y vois personnellement ce qui se cache derrière le subconscient, donc l’inatteignable …

D’où l’idée de votre première collection iconique …

Exactement. Avec Madja Bekkali, parfumeur nous avons eu l’idée de cinq fragrances symbolisant l’inaccessible. Kalahari évoque le désert de Namibie où il fait 57 ° excluant toute présence humaine, Naïca des grottes du Mexique si profondes que l’oxygène y est quasi inexistant, Atilan un volcan entouré d’un lac, Abysse la profondeur des océans et Divin Part la première particule du Big Bang … Ce dernier est aussi un hommage à ma mère, son rouge à lèvre qui sentait l’iris, mes premiers émois en quelque sorte.

Collection Iconique ©Noème

Vous vous définissez comme une marque de haute parfumerie. Qu’est-ce que cela évoque pour vous ?

La Haute Parfumerie pourrait être la Haute Couture versus le Prêt à Porter. C’est un tout, une attention portée à des multitudes de détails qui en font un objet rare. A ce titre plusieurs axes me paraissent indispensables. Les matières premières de haute qualité, qu’elles soient naturelles ou de synthèse, le travail privilégié avec des parfumeurs choisis qui vont marquer de leur empreinte olfactive une collection, un flacon non standardisé, des packagings illustrés de dessins originaux (par Ana Ladecka pour nos coffrets). 

Parlez-nous de votre travail avec les parfumeurs

Dès 2018 j’ai travaillé avec Madja Bekkali qui compose avec une forme d’abstraction contemplative très personnelle. Pour la Collection Chaman, Amélie Bourgeois a su manier avec brio sa connaissance de la floralité alors que Emma Doghri s’exprime davantage sur une parfumerie dite plus orientale. Avec toutes, il y a un travail de cocréation, on part d’une histoire pour aller vers un sillage qui fait sens. La haute parfumerie c’est aussi ça, le rapport privilégié qu’on entretient avec les parfumeurs. 

Collection Chaman ©Noème
Collection Iconique ©Noème
Collection Iconique ©Noème

Votre flacon dévoile aussi la part de rêve de la marque

Oui l’histoire est amusante. Avec Madja nous avions fait le choix d’un flacon mais pas encore du capot. On était assis devant, elle avait ce bracelet magnifique or un peu irrégulier en forme d’ouroboros, ce serpent qui se mord la queue, symbole de l’infini soit la chose la plus inatteignable ! Elle l’a posé dessus, ça a tout de suite fait « tilt ». Le hasard si c’en est un, a bien fait les choses.

Vous avez été dans les finalistes des Fragrances Fondations Awards, catégorie Marque Indépendante cette année. Comment l’avez-vous vécu ?

Comme une consécration, passer devant un panel de personnes professionnels du parfum et être dans les finalistes, c’était galvanisant. La contribution d’Emna Doghri a été primordiale. Même si au final on n’a pas gagné, c’était déjà fabuleux, et puis je l’ai vu comme une continuité, un hommage à mon grand-père et à mon père.

Ce parfum, Vanille de Sambava vous en êtes particulièrement fier ?

Oui mon père était le plus grand exportateur de vanille de Madagascar. Je voulais une vanille non sucrée telle qu’elle existait dans mes souvenirs. Cette vanille séchée dans les entrepôts avec autour les odeurs des sacs en jute, la tôle ondulée etc. On a sélectionné un type de vanille rarissime, la vanille givrée. Quand elle sèche elle ne brunit pas, elle a un aspect givré dû à un taux de vanilline incroyablement élevé. Elle provient de Sambava, nous l’avons travaillée dans un registre original, très peu sucré, aussi luxuriant que puissant. Nous en sommes fiers.

Où est-ce qu’on vous trouve ?

A Paris chez Sens Unique ou la parfumerie de l’Opéra par exemple. Nous privilégions pour le moment des parfumeries de niche. Il faut savoir que l’on est aussi très développé au Brésil, au Qatar et même au Vietnam. Pendant le confinement j’ai multiplié les zooms avec des distributeurs du monde entier, chaque pays a ses préférences, ses rejets culturels aussi …  On apprend beaucoup. Notre site internet qui fonctionne très bien. Et puis aujourd’hui la parfumerie touche toute la génération qui a grandi avec les réseaux sociaux. On travaille avec une cinquantaine de bloggeurs spécialistes, comme Ikram en France, c’est une visibilité intéressante car sincère.

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