REGARDS D’EXPERTS : Sarah Bouasse

Par Marie-Bénédicte Gauthier

Portrait de Sarah Bouasse

Écrivains, journalistes, influenceurs, évaluateurs, collectionneurs… l’interview olfactive des accros au parfum.

Pionnière d’une nouvelle vague de journalistes qui ont révolutionné le récit sur les parfums et l’industrie – avec notamment son implication dans la revue NEZ -, Autrice (Par le bout du Nez chez Calmann Levy), SARAH BOUASSE explore tout du vertige olfactif, avec passion et ravissement. En fil rouge :  une émotion toujours présente.

Votre premier Choc Olfactif

Jicky de Guerlain, que mon père portait quand j’étais petite. À mes yeux d’enfant – ou plutôt à mes narines ! – c’était l’odeur la plus belle et la plus fascinante au monde : elle était sèche, scintillante et poudrée, et pourtant elle émanait d’un liquide transparent… Comme je le raconte dans mon livre, mon père m’en mettait parfois quelques gouttes derrière les oreilles avant de m’emmener à l’école. Cette odeur me donnait le sentiment d’être reliée à lui par un fil invisible pour le reste de la journée. Jicky a été l’étincelle de ma curiosité pour le parfum en général, mais aussi d’un émerveillement qui ne m’a jamais quittée : celui du rôle que le parfum peut jouer dans nos vies, bien au-delà de sa fonction de « sent-bon ».

Jicky, Guerlain

Vos derniers Chocs Olfactifs

Ces jours-ci, je me shoote à Colpo di Sole de Bottega Veneta. Une merveille de douceur, qui s’ouvre sur une note de Biafine surprenante et bien ficelée ! J’ai été émerveillée par vraies pépites au rayon de ces sillages tendres et enveloppants dont je raffole. Je pense à Comète de Chanel, Reflets d’ambre de Francis Kurkdjian, un oriental enveloppant et Acne Studios des Éditions de Parfum Frédéric Malle. Sinon, j’ai été frappée par la beauté d’Un bel amour d’été de Parfum d’Empire. Mandi Rhubi d’Isabelle Larignon m’a scotchée : une eau fraîche verte, pétillante qui me rend joyeuse.

Colpo di Sole, Bottega Veneta.
Comète, Chanel
Acne Studio, par Frédéric Malle
Un bel amour d’été, Parfum d’Empire

L’objet de convoitise

Je rêve depuis très longtemps de m’offrir Shalimar en version extrait. J’ai toujours trouvé ce flacon sur pied, avec son bouchon bleu, d’une beauté incroyable. Et je ne parle même pas de l’odeur qu’il y a dedans.

Shalimar, parfum, Guerlain

Vos matières premières fétiches

Côtés naturels, j’aime particulièrement l’iris, la lavande et la fleur d’oranger. Côtés synthétiques, je raffole des muscs blancs et de la palette de douceur qu’ils offrent, leurs senteurs douillettes qui évoquent le propre et qui ont le bon goût, devenu rare, de ne pas sentir trop fort. Muscenone, Galaxolide, Helvétolide… et le musc cétone, désormais interdit.

Celles que vous appréciez le moins

Je déteste viscéralement les molécules boisées ambrées qui vrombissent dans la plupart des sillages masculins d’aujourd’hui : Cedramber, Trimofix, AmberXtreme et autres Ambrocénide. Elles me font l’effet d’une agression physique, comme si on me passait un furet de plombier dans les sinus ! Et je déteste tout ce qu’elles symbolisent aussi : cette volonté mégalomane de sentir toujours plus fort, toujours plus loin, toujours plus longtemps … L’obsession de la « performance » comme on dit dans le jargon, entraine les marques dans une course qui étouffe la créativité des parfumeurs et m’agresse olfactivement. La place délirante que prennent ces « gros sillages » dans l’espace public nous condamne, collectivement, à être de moins en moins capables d’apprécier, voire de déceler, les odeurs plus nuancées. À commencer par celles du monde qui nous entoure.

Le parfum que vous aimez sur vous

Celui qui sied à mon humeur ! J’ai la chance d’avoir plusieurs dizaines de flacons chez moi, et de pouvoir en changer régulièrement. Parmi ceux auxquels je reviens souvent vers Shalimar de Guerlain, Dolce Vita de Dior, Les Nuits d’Astier de Villatte, L’Heure Perdue de Cartier, la Fleur d’Oranger de Fragonard, N°5 de Chanel, Dans tes Bras des Éditions de Parfum Frédéric Malle, Youth Dew d’Estée Lauder, Bois d’Orange de Roger Gallet, et Muschio Bianco de Tesori d’Oriente, une petite pépite que j’achète dans les supermarchés italiens. Ceci étant, mon humeur me dicte le plus souvent de ne rien porter du tout, pour garder le nez alerte.

Les nuits, Astier de Vilatte
Fleur d’Oranger Intense, Fragonard

Celui que vous aimez sentir sur les autres

Tous ceux qui me font penser à des personnes que j’aime, ou qui me ramènent à des moments heureux de ma vie. Je trouve merveilleux que de temps en temps, une personne croisée au hasard dans la rue provoque une irruption de souvenirs dans ma tête, à son insu, simplement grâce au parfum qu’elle porte.

L’odeur qui pue mais qu’on adore

Allez, j’avoue : les couches de mes filles, pendant les premiers mois de leur vie, à l’époque où elles n’avalaient rien d’autre que mon lait. Une odeur douce, entre brioche et levain !

L’odeur cosmétique fétiche

Le Monoï d’Yves Rocher, que je mets tous les étés dans ma valise depuis l’adolescence, et qui concentre donc toute l’insouciance des grandes vacances. Et je raffole aussi de l’odeur du talc Borotalco italien.

La place que le parfum prend chez vous ?

Physiquement : deux bouts d’étagères, et trois grandes boites rangées sous mon lit. Symboliquement : une bonne partie de ma vie.

L’odeur de demain

S’il y a un « demain » pour notre humanité, il ne peut avoir qu’une seule odeur : celle du monde qui nous entoure, dans toutes ses nuances de vie et toute sa diversité.

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