Par Marie-Bénédicte Gauthier

Parfumeur exclusif de la Maison CHANEL depuis 2013, Olivier Polge, dans le sillage des visionnaires olfactifs, évoque son nouvel opus, BLEU DE CHANEL L’EXCLUSIF, incarné par Timothée Chalamet. Un pur plaisir.
Avant BLEU DE CHANEL, signé Jacques Polge, le bleu et son champ sémantique olfactif évoquait un univers iodé ou ciel ozonique. La Maison CHANEL a introduit une forme de nouvelle intensité, une profondeur. Avec le succès qu’on lui connait … Comment, pour vous, ce parfum a-t-il changé la donne ?
Si l’on évoque les années 80 ou 90 comme le Cool Water de Pierre Bourdon, c’étaient effectivement des parfums guidés par la fraîcheur aromatique, un côté linge propre, ou marins, les codes masculins de ces années-là. BLEU DE CHANEL a apporté une profondeur inédite, un territoire boisé ancré dans le contemporain, très enveloppant tout en étant accessible. Ça a tout de suite fonctionné, allumé par cette étincelle hespéridé et aromatique particulière. Et ça a inauguré, je crois une nouvelle tendance, ces parfums masculins à signature aussi fortes que des féminins très signés.
Cette intensité dont vous parlez, c’est un peu aussi l’influence du Moyen-Orient de ces 15 dernières années …
Complètement. Soit de manière un peu directe, je dirais très démonstrative, avec des sillages ouvertement ambrés, oudés, épicés. Mais aussi avec une parfumerie plus abstraite… Pour le BLEU original de 2010, la Maison CHANEL a commencé par une eau de toilette qui apportait cette tonalité plus profonde, puis une eau de parfum et un parfum. Graduellement, par des chemins créatifs un peu différents, on a apporté toujours plus de complexité.
BLEU DE CHANEL L’EXCLUSIF, votre dernière création, s’empare encore d’une nouvelle nuance, plus obscure quoique traversée de lumière, avec ses inflexions chaudes et suaves. Pouvez-vous nous en parler ?
A chaque nuance de BLEU, je me mets dans une situation où je réaffirme l’identité du parfum. Je plonge au cœur de son histoire, je trouve une résonance avec le précédent, je m’y confronte, esquissant une nouvelle signature en filigrane. C’est toujours plus facile avec une identité forte de départ. BLEU DE CHANEL L’EXCLUSIF explore une nouvelle densité, sans limites. C’est complexe d’évoquer ce qui est nouveau, si ce n’est un nouveau mystère, quelque chose d’immédiatement reconnaissable.



Si vous deviez l’évoquer en quelques mots ?
Une alchimie cuirée-santal dès le départ, très texturée. Je parlais de cette idée d’intensité masculine qui pouvait rejoindre la parfumerie féminine, aussi riche. Cette composition ciselée dévoile pour moi des richesses différentes dans un registre masculin. C’est mon engagement en tant que parfumeur : non pas imaginer une odeur parmi d’autres mais m’engager pour une odeur qui va se déployer sur peau, encore plus bleu nuit. Je l’ai transposé dans un nouvel esprit, ce sont mes habitudes de travail. Petit à petit on aborde notre palette de matières premières fétiches en les fractionnant, les purifiant ou autres. Pour BLEU DE CHANEL L’EXCLUSIF, les notes boisées qui sont le cœur de BLEU sont chacune travaillées pour exprimer des vibrations particulières. Une nouvelle richesse.


D’où le travail très particulier sur le Santal dans BLEU DE CHANEL L’EXCLUSIF…
L’histoire de ce santal commence par une impasse : celle du très prisé Santalum album Indien. Depuis les années 1990, son utilisation s’est vue encadrée par des régulations draconiennes en Inde. Rapidement, la parfumerie s’est trouvée contrainte de chercher des alternatives en Australie où l’on a exploité le Santalum Spicatum. Une espèce avec des facettes sèches, particulièrement perceptibles en tête. Différente de la richesse crémeuse et lactée du santal indien. Avant même mon arrivée dans la Maison CHANEL une découverte majeure a été faite : celle du Santalum austrocaledonicum en Nouvelle-Calédonie. Une variété botanique distincte, étonnamment proche du Santalum album dans son profil olfactif. Ce bois précieux nous a permis de reformuler nos bases, en remplaçant le santal indien par cette alternative naturellement plus accessible.

Vous avez aussi repensé l’extraction ?
Oui, nous avons opté pour une extraction à froid. Ce choix a permis d’éviter les altérations moléculaires induites par la chaleur — lesquelles tendent à conférer au santal une douceur trop lactée au détriment de son caractère boisé. C’est un santal, brut, dense et chaleureux qui évoque le chêne chauffé, une signature boisée singulière. C’est devenu notre santal.



Le Santal fait d’ailleurs partie du patrimoine de la Maison CHANEL …
Absolument. On le retrouve, par touches, dans le N°5, même s’il n’en est pas la signature dominante, dans Bois des Îles qui reste, à mes yeux, l’un des plus grands parfums jamais créés. Et aussi dans Allure Femme — un parfum remarquable et qui mérite d’être redécouvert. Dans toutes ces compositions, le santal joue en duo. Avec le jasmin, par exemple, l’alchimie est particulièrement puissante. Certaines associations sont comme des évidences : patchouli et rose, vétiver et pamplemousse, santal et jasmin. Des mariages qui racontent une histoire olfactive universelle, sans jamais se répéter.
Est-il l’élément clef de BLEU DE CHANEL L’EXCLUSIF?
Il est en le fil conducteur. Mais en parfumerie, tout est affaire d’association. Une matière seule n’est jamais la clef : c’est son environnement qui lui donne sa voix. Comme ce côté cuiré imaginé avec une infime mais juste touche de ciste labdanum. Ici le ciste ne se contente pas de réchauffer, il initie une vibration ambrée, étincelante.
Vous vous êtes rendu en Nouvelle Calédonie, sur l’île de Maré où CHANEL soutient la culture locale. Est-ce que ça a influencé votre processus de création ?
Je ne dirais pas ça mais c’est fascinant. Là-bas, chaque arbre est répertorié, chaque coupe s’accompagne de replantations : jusqu’à une trentaine pour un seul abattage. Le processus est précis, rigoureux, et surtout, profondément respectueux. Ce respect se retrouve jusque dans leur manière de cultiver la terre. Rien à voir avec nos logiques occidentales de lignes et de monocultures. Ici, c’est un enchevêtrement vivant ! Des espèces entremêlées, des géométries imprévues, des interactions végétales inattendues. Le santal, par exemple, a besoin dans ses jeunes années d’une plante hôte sur laquelle il s’appuie pour croître. Il y a là une forme d’intelligence organique et spontanée qui ne peut qu’inspirer.



Il existe une véritable signature Olivier Polge. Si l’on sent l’un de vos parfums, ça sent CHANEL et pas autre chose. Comment voyez-vous cela ?
Ce n’est pas une signature figée, mais une approche. La Maison CHANEL ne travaille pas avec une base maison universelle, mais une palette particulière. On fait notre infusion de Vanille par exemple à Compiègne dans notre usine de fabrication. Toutes nos matières premières : jasmin, rose, santal, ylang, vétiver, iris, vétiver, patchouli etc. sont l’aboutissement de traitements particuliers. Mais ce qui est primordial, c’est leur façonnage. On ne fait pas un parfum exceptionnel grâce à un ingrédient particulier …
Que pensez-vous du marché des Dupes qui fleurit actuellement ?
On peut toujours copier une formule. Mais sans la provenance des matières, sans leur transformation, sans leur histoire, le résultat ne peut être qu’une imitation fade. « On peut suggérer qu’un parfum ressemble à un autre », me dit-on souvent. Mais ce n’est pas le cas. C’est comme comparer un sac Chanel avec une contrefaçon : un détail peut paraître semblable, mais l’essentiel manque. Gabrielle Chanel le disait déjà à propos du N°5 : elle voulait un parfum « artificiel », au sens noble. Un parfum qui n’imite pas la nature mais la transcende, une construction, une abstraction. Et cela exige du temps, c’est cela qui fait la différence. Certaines matières demandent des jours de macération. Certaines erreurs s’effacent d’elles-mêmes après quelques jours. Il faut porter, vivre avec les essais, avoir du recul sur les dosages. De cette lenteur naît l’intuition juste. BLEU DE CHANEL L’EXCLUSIF, je l’ai pensé dans cette dynamique…


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