Par Virginie Rousset

et à la tête de sa propre maison de parfum, Bontemps Paris.
©DSM-Firmenich
Parfumeur chez DSM-Firmenich depuis 2019, ce jeune trentenaire a aussi lancé en 2025 Bontemps Paris, sa propre marque de parfums. Rencontre avec un passionné qui ne tient pas en place.
Parfumeur, c’était un rêve d’enfant ? Qu’est-ce que cela signifie pour vous aujourd’hui ?
Ce n’était pas vraiment un rêve d’enfant. Je ne viens pas d’une famille de parfumeurs, mais certaines choses m’ont orienté très tôt. Mes parents sont originaires de Cannes, et nous y passions nos vacances. L’appartement familial, entouré de mimosas, a laissé en moi un souvenir olfactif très fort. Quand j’avais 6 ou 7 ans, mon grand-père maternel m’emmenait souvent à Grasse, où je restais bouche bée pendant des heures devant l’orgue à parfums de Molinard. En 3?, ma prof de français nous a fait lire Le Parfum. Je l’ai dévoré en quatre jours alors que je ne suis pas un grand lecteur : une révélation. À partir de là, j’ai commencé mes recherches sur le métier de parfumeur et découvert que cela demandait beaucoup de curiosité, et qu’il existait toute une industrie derrière. J’ai participé à des portes ouvertes, fait des stages d’été… Tout cela a construit ma motivation. J’ai intégré l’ISIPCA en 2012 après un stage chez Chanel avec Christopher Sheldrake. Il m’a appris les rudiments de la parfumerie et la méthode Jean Carles : ce fut quatre mois de rêve. Ensuite, j’ai été apprenti-évaluateur chez Firmenich pendant deux ans. C’était essentiel pour comprendre le métier, même si ma frustration restait de ne pas pouvoir créer. Puis j’ai rencontré Michel Almairac et Jean-François Latty. En 2015, j’ai intégré Robertet pour devenir parfumeur.
En 2019, Firmenich m’a envoyé à Shanghai pour ouvrir la filiale Fine Fragrance. J’y suis resté trois ans avant de revenir à Paris en 2022 : on a beau dire, c’est ici que tout se passe.
Quels sont vos premiers souvenirs de parfum ?
Le premier parfum que j’ai porté : L’Eau d’Orange Verte d’Hermès, vers 11-12 ans, puis Un Jardin en Méditerranée. J’ai tout de suite aimé la signature de Jean-Claude Ellena.

Et le premier parfum que vous avez créé ?
Tobali Cypress Mask, lorsque j’étais chez Robertet : un travail autour du cyprès et de l’hinoki. J’aimais l’idée, car l’huile essentielle d’hinoki est rare et d’une très belle qualité.
Quelles matières premières vous fascinent le plus ?
Le vétiver. J’adore cette matière, à la fois élégante et complexe, presque un parfum à elle seule. J’aime aussi l’ambrox : ce n’est pas une matière naturelle, mais elle possède une facette unique, propre, sensuelle, très nuancée.
Quelles matières premières vous donnent le plus de fil à retordre ?
Aucune ne me rebute : même si je ne suis pas à l’aise, j’y vois un défi. Un beau jasmin, par exemple, je l’ai peu travaillé, c’est difficile à maîtriser, mais passionnant.
Cette année, vous avez signé le parfum Zadig, le nouveau Brunello Cucinelli, le Kenzo… Quelle part de vous mettez-vous dans chacun de vos projets ?
Zadig a été marquant : c’était mon premier gros projet après mon retour de Chine. Un duo vanille et sésame : un pari audacieux pour un pilier de la marque. J’ai travaillé en duo avec Amandine Clerc-Marie, avec qui nous avons partagé l’euphorie, le doute et l’apothéose lorsque lorsque que j’ai gagné le projet et j’ai fêté ça avec toute mon équipe : Perrine, Célia Dunand (évaluatrice), les responsables du développement chez Shiseido. C’était le premier client à faire confiance à un jeune parfumeur pour un projet aussi stratégique. Leur confiance et leur ouverture m’ont énormément motivé. Pour Soffio Zenit de Brunello Cucinelli, je me suis inspiré d’un souvenir d’enfance : une randonnée dans l’Estérel où nous avons découvert un figuier immense, avec ses figues mûres. J’ai voulu retranscrire ce contraste entre la feuille verte, la chaleur rouge-ocre et une sensualité assumée. Ce que j’aime le plus, c’est quand le parfum touche quelqu’un, quand la personne se l’approprie. C’est ce qui me bouleverse et me donne envie de me lever chaque matin.

Quel parfum vous fait rêver ?
Toutes les créations, sans exception, de Jean-Claude Ellena : Terre d’Hermès, Déclaration de Cartier… Il a inventé des parfums qu’on n’avait jamais sentis auparavant, avec une signature unique. Un jour, j’aimerais qu’on dise : « Voilà, c’est la patte de Florian Gallo. »
Quel parfum portez-vous ?
Féminité du Bois de Serge Lutens. C’est ce parfum qui m’a fait découvrir la parfumerie de niche. Avant l’ISIPCA, je ne connaissais pas ce monde-là. Avec cette fragrance, je suis tombé amoureux du cèdre. Aujourd’hui, la parfumerie est devenue mon métier, alors c’est vrai que je me parfume beaucoup moins en dehors du travail.

Vous lancez aussi Bontemps Paris, votre propre marque en famille. Pourquoi ?
J’ai eu la chance de rencontrer des figures comme Christopher Sheldrake, Michel Almairac, Francis Kurkdjian, qui m’ont transmis l’envie d’entreprendre. Sans projet, je m’ennuie. Créer ma marque était un rêve. C’est un marathon : je me lance avec Julie, ma femme, et mon petit frère Clément, qui nous a rejoints cette année. Il rêvait d’entreprendre et se passionne pour la parfumerie. Nous espérons bâtir un projet qui dure dans le temps. Nous avons aussi le soutien de dsm-Firmenich, c’est une chance énorme. Je suis le premier à tenter cela à la trentaine !



Quelle est la ligne directrice de Bontemps Paris ?
Notre ADN repose sur trois piliers : l’accessibilité, l’authenticité et la convivialité. Nous voulons rendre la parfumerie compréhensible, parler directement aux gens, évoquer les émotions et les moments de vie. Nous souhaitons aussi créer une communauté, organiser des masterclasses, échanger. Nous avons commencé avec la vente en ligne et sommes désormais présents au Printemps Haussmann. Rien ne presse, nous avons le temps de construire notre univers.

On parle beaucoup de naturalité et d’écoresponsabilité. Quelle est votre approche avec Bontemps Paris ?
Nous avons cherché à réduire au maximum notre impact : pas de moule pour limiter les déchets, le sourcing se fait en France et en Europe, nous avons opté pour du verre semi-automatique, un bouchon fabriqué en France, du papier italien. Les formules ont un impact environnemental très bas grâce à dsm-firmenich. Cela a un coût, mais c’était un choix important. Notre parfum est proposé à 115 € les 50 ml.