Francis Kurkdjian : trente ans de création célébrés au Palais de Tokyo

Par Lionel Paillès

1995-2025. Trente ans après le succès fulgurant du parfum Le Male qu’il a signé à l’âge de 26 ans pour Jean Paul Gaultier, Francis Kurkdjian est célébré au Palais de Tokyo à travers l’exposition “Parfum, Sculpture de l’invisible”, sous le commissariat de Jérôme Neutres. Pensée comme une déambulation sensorielle et poétique, cette rétrospective retrace le parcours d’un homme qui a érigé le parfum en véritable médium artistique.

Créateur de fragrances emblématiques telles que For Her (Narciso Rodriguez), Aqua Universalis et Baccarat Rouge 540 pour sa Maison éponyme co-fondée en 2009 avec Marc Chaya, Francis Kurkdjian n’a jamais limité son art au seul flacon. Ensemble, ils ont ouvert de nouvelles voies à l’expression olfactive, mêlant patrimoine, technologie et collaborations artistiques audacieuses.

L’exposition invite à une immersion totale dans l’univers du parfumeur : fontaines odorantes, bulles olfactives flottant dans l’air, installations lumineuses et vidéos documentant ses créations dans des lieux prestigieux partout dans le monde. Le visiteur peut sentir, emporter, contempler et même écouter les parfums — à l’image du concert-performance donné à la Philharmonie de Paris en 2022, où chaque mouvement d’une suite de Bach s’accompagnait d’un accord olfactif diffusé en direct. Au fil de la visite, on remonte une allée de pétales de roses en porcelaine rendus odorants grâce à une collaboration avec la Manufacture de Sèvres, on se réfléchit dans un miroir géant nimbé de parfum et l’on se perd dans un décor parfumé, inspiré des bosquets du parc du château de Versailles.

Exposition « Parfum, Sculpture de l’invisible »
©Maison Francis Kurkdjian
Éclats de roses en porcelaine
©Maison Francis Kurkdjian

Un art du dialogue et de la collaboration

Le créateur de Rose Barbare de Guerlain et de My Burberry n’a jamais pensé le parfum comme un geste solitaire. L’exposition met en lumière les dialogues nombreux et éclectiques qu’il a tissés avec des artistes venus de multiples horizons : plasticiens (Sophie Calle, Sarkis, Yann Toma), musiciennes (Katia et Marielle Labèque), homme de théâtre (Cyril Teste), designer (Felipe Ribon) ou cheffe étoilée (Anne-Sophie Pic). De sa première collaboration avec l’artiste Sophie Calle en 1999 — un parfum inspiré de « l’odeur de l’argent », à la fois attirant et répulsif — jusqu’aux créations récentes avec Cyril Teste, Christelle Boulé ou le chef d’orchestre Klaus Mäkelä, ses projets deviennent des œuvres multisensorielles à la frontière du visible et de l’invisible.

L’odeur de l’argent, en collaboration avec Sophie Calle ©Maison Francis Kurkdjian

Réactivées pour l’occasion, certaines de ses installations les plus marquantes dialoguent avec les nouvelles technologies et les savoir-faire traditionnels. Ainsi, le visiteur peut découvrir des gants parfumés selon les méthodes du XVIIIe siècle ou sentir le Sillage de la Reine, une reconstitution d’un parfum à la mode de Marie-Antoinette, formulé selon les recettes d’époque. Mais le parfumeur explore aussi de nouveaux territoires sensoriels : L’Or Bleu, une eau parfumée à boire créée avec Yann Toma ; V-Scent, un casque VR à odeurs connectées conçu pour l’expérience immersive Eden ; ou encore une malle futuriste du parfumeur et des diffuseurs d’ambiance sculpturaux conçus avec l’orfèvre Nicolas Marischael et le designer Felipe Ribon, capables de libérer une fragrance au simple passage de l’air. Tout dans cette exposition interroge notre rapport sensible au monde et à l’invisible.

L’œuvre monumentale Thousands Kilometers Landscapes de l’artiste chinois Wan Liya vient ponctuer le parcours. Composée de 250 porcelaines inspirées des flacons de Maison Francis Kurkdjian, cette fresque longue de 11 mètres s’inspire des paysages de la dynastie Song, créant un pont symbolique entre patrimoine asiatique, modernité occidentale et art olfactif. Véritable sculpture visuelle et invisible, elle incarne le dialogue entre les cultures et les disciplines qui traverse toute l’œuvre de Francis Kurkdjian. L’exposition a pour point d’orgue une installation immersive présentée pour la première fois : « L’Alchimie des Sens », conçue autour du parfum iconique Baccarat Rouge 540. Francis Kurkdjian a réuni pour l’occasion l’artiste Elias Crespin, la cheffe la plus étoilée au monde Anne-Sophie Pic, le compositeur David Chalmin et les pianistes Katia et Marielle Labèque. Cette installation inédite célèbre l’alchimie des cinq sens, sous la direction artistique du metteur en scène Cyril Teste.

À travers cette rétrospective conçue comme une immersion sensorielle, le créateur réaffirme sa vision du parfum : un langage plastique et poétique, capable de convoquer souvenirs, émotions, et imagination. Entre mémoire et futur, entre l’air et la matière, le parfum devient ici une sculpture invisible, mais profondément évocatrice.

Parfum, Sculpture de l’invisible : Palais de Tokyo, Espace du Saut du Loup : 13 avenue du Président Wilson, Paris-16e. Du 29 octobre au 23 novembre 2025 (Entrée libre sur réservation).

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