Jérôme Viaud, un maire en état de Grasse

Par Marie-Bénédicte Gauthier

A l’occasion du 21 mars, Journée Mondiale du Parfum, nous avons souhaité donner la parole à Jérôme Viaud, Maire de Grasse. Pour nous, il évoque le renouveau de la Capitale Mondiale du Parfum, son exceptionnel essor qui diffuse, jusqu’à l’autre bout de la planète.  

Dans le cadre de la Journée Mondiale du Parfum, la Fragrance Foundation est heureuse de valoriser tous les métiers de la filière parfum. En tant que Maire de Grasse, qu’est-ce que cela évoque pour vous ? 

Nous sommes fiers à Grasse, de faire partie de votre rendez-vous du 21 mars, de mettre en lumière un territoire qui rend hommage à tous les acteurs de la filière. Ceux d’hier, comme ceux d’aujourd’hui. Le parfum est un bien universel qui se doit de se transmettre de génération en génération. C’est un savoir-faire à la Française, unique et séculaire qui porte ses codes et agrège tout aussi bien les métiers de l’agriculture, de l’extraction, de la création que de l’industrie. Que ce soit via votre cérémonie, ses prix qui récompensent tous les talents, les « Fragrance Foundation Awards », ou cette Journée Mondiale du Parfum organisée depuis 2020, vous soutenez et contribuez à l’essor de cette merveilleuse industrie.

La Ville de Grasse est désormais inscrit au registre du Patrimoine Culturel immatériel de l’UNESCO. Quel est l’impact de cette distinction sur les différents acteurs du métier ? 

C’est la sanctuarisation d’un savoir-faire exceptionnel. L’inscription au Patrimoine Cuturel Immatériel de l’Unesco est un travail de longue date, initiée par Jean-Pierre Leleux, mon prédécesseur à la mairie de Grasse. N’oublions pas que l’inscription a été? voté par les 178 États signataire de la Convention PCI. On a, il est vrai, assisté à un changement de paradigme : avant il fallait aller « planter » ailleurs, aujourd’hui, tout le monde veut revenir en terres sacrées ! Rien ni personne ne peut copier ce que la région offre : ses sols, son climat, son savoir-faire : une nature généreuse !  Cette reconnaissance est un formidable levier d’attractivité. On note aussi un retour de jeunes agriculteurs, des écoles qui ouvrent des antennes à Grasse avec une offre de formations supérieures dédiées aussi bien à la recherche, à l’expertise formulatoire, qu’au développement durable. 

Quelles ont été les mesures phares du dossier de candidature ? 

La création d’une pépinière de plantes à parfum : l’Aromatic Fablab, un incubateur porté par l’Association Fleurs d’Exception du Pays de Grasse. En réunissant les acteurs locaux, ce lieu de recherche et de transmissions des savoir-faire traditionnels a su accompagner les porteurs de projets agricoles autour des plantes à parfum. Et cela a donné des émules … Enfin, il a fallu mettre en avant, et c’est ce à quoi nous nous attachons aujourd’hui, la réindustrialisation. Une stratégie territoriale pour repositionner tous les métiers du parfum au cœur de la région.  

Cela a aussi marqué un retour des grandes maisons. Dans le sillage de Chanel, les acteurs du luxe LVMH, L’Oréal mais aussi les maisons de composition comme IFF ou Firmenich ont investi cette terre fertile.

Nous avons retiré 70 hectares de droit à bâtir pour privilégier la culture des plantes à parfum.  Une manière de lutter contre la pression foncière et de démontrer notre engagement, démarche inverse de ce qui se passe sur la côte d’Azur … Cette forte conviction s’est révélée extrêmement positive en termes de création d’emplois. J’ajouterai que cela redonne de la fierté à tous les acteurs du métier.  Je crois que notre écriture territoriale est unique, forte des gestes des ainés et de ceux des générations à venir, les marques ont eu envie d’y reprendre racine ! Certaines comme Lancôme, sont propriétaires et producteurs, d’autres comme cultivent des partenariats (avec Armelle Janody à Caillan ou Carole Biancalana à Plascassier). Toutes participent à un élan vertueux. Certaines Maisons développent et testent de nouvelles technologies, des champs d’essai d’adaptation climatique, sur la question du stress hydrique par exemple. C’est un travail commun que nous entreprenons, appuyé par la recherche et développement de grands groupes. 

En quoi cette forme de marketing territorial a-t-elle un impact positif sur le renouveau des plantes à parfum ? 

Les plantes à parfum du Pays de Grasse connaissent depuis un peu plus de 10 ans un renouveau que l’on n’espérait plus à la fin du XXème siècle. Bien sûr il y a les fleurs emblématiques : la Rose Centifolia, le Jasmin, l’iris, ou encore la violette à Tourettes-sur-Loup. Cette dernière qui avait fait la renommée de Grasse a d’ailleurs été réintroduite il y a quelques années, grâce à la persévérance d’un ancien cultivateur, Constant Viale. Aujourd’hui c’est un travail que nous menons avec de jeunes agriculteurs et agricultrices, pour écrire un document d’urbanisme conforme avec le passé et protecteur de l’avenir. D’autres fleurs resurgissent : le narcisse, la fleur d’oranger à Bar sur Loup et Vallauris, la tubéreuse, le lys de la madone … Dans 50 ans on dira qu’on a bien fait de retirer ces 70 hectares de terrains à bâtir. 

Le marketing « patriotique beauty » a le vent en poupe. Comment pouvez-vous agir pour que le « made in grasse » ne soit pas usurpé ? 

En premier lieu, avec le Club des Entrepreneurs du Pays de Grasse, nous avons créé « Grasse Expertises », qui fédère les professionnels des filières implantées sur le territoire, pour préserver son patrimoine. Il a aussi pour ambition d’être un levier de transformation sociétale et environnementale en stimulant l’intelligence collective. Avec l’Association Fleurs d’exception du Pays de Grasse qui réunit les cultivateurs de plantes à parfum et 7 grandes industries du Pays de Grasse, nous avons également porté ce projet ambitieux de label : IG absolue du Pays de Grasse, que nous avons obtenu par l’INPI pour les fleurs à parfum. Enfin, nous sommes en pleine réflexion sur une démarche de protection de la marque « Grasse » et « Pays de Grasse » avec le club des entrepreneurs du Pays de Grasse, le syndicat PRODAROM, les services de la Communauté d’Agglomération du Pays de Grasse et la Ville de Grasse. 

Avant les musées de Grasse tournaient autour d’un imaginaire un peu « cliché » du parfum. Aujourd’hui on sent une dimension culturelle totalement novatrice …  

Absolument. C’est un désir commun. Olivier Quiquempois, Directeur du MIP (Musée International de la parfumerie) et Conservateur du Patrimoine fait un travail remarquable. Aujourd’hui il va s’occuper du musée de la Marine à Paris (qui va avoir sa signature olfactive !). Muriel Courché y a aussi Avec l’ensemble des équipes du musée, la Direction des affaires culturelles de la Communauté d’Agglomération, nous avons enrichi notre programmation, nos collections, retravailler le parcours et la muséographie en mettant à l’honneur toute la dimension immatérielle et sensorielle de l’odorat. En août 2022, il y a eu 20 000 entrées payantes, avec un total de plus de 100 000 entrées sur l’année. Nous sommes fiers de ce résultat, surtout après la crise sanitaire où les visiteurs ont déserté les musées. Nous avons retrouvé notre niveau de fréquentation de 2019 voire plus. Tout est articulé autour de la synergie entre olfactif, jardins, arts contemporains et neurosciences. Nous développons également de plus en plus des partenariats avec des Musées voisins, mais aussi nationaux ou internationaux. Avant la Covid, nous avions envisagé des expositions itinérantes au Japon, en Chine… A l’heure d’aujourd’hui, nous réfléchissons sur d’autres projets de développement ou itinérants à l’international. Les gens sont sensibles à la question de l’art de se parfumer, Notre chance : porter sur le territoire de Grasse toute une culture pour conquérir le monde. 

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