Manet / Degas au Musée d’Orsay : les aventuriers impressionnistes

Par Isabelle Sadoux

Deux peintres essentiels… entre complicité et rivalité. 

C’est ce que raconte l’exposition qui se tient au Musée d’Orsay jusqu’au 23 juillet 2023. Sa riche iconographie comprend plus de 200 chefs-d’œuvre : peintures, pastels, dessins, estampes, gravures, monotypes, ainsi que des lettres, des carnets, un album de portraits et des cartes de visite.

Exposition Manet / Degas au Musée d’Orsay

Manet et Degas sont ici présentés comme les protagonistes d’une scène artistique et culturelle qui voit naître leur complicité autant que leur rivalité. Celles de deux créateurs, à maints égards uniques, au cœur de l’impressionnisme.

Manet ne suit pas Degas dans l’aventure de ce nouveau courant, par choix de carrière. Degas lui-même, s’il croit à la force collective, ne souhaite pas peindre comme Manet. En 14 chapitres, l’exposition relate les parcours, les relations, les heurts et les amitiés de ces deux artistes. Et finalement, une grande admiration réciproque.

La rencontre de ces deux fils de familles bourgeoises reste une énigme, même si tous deux se fréquentent et côtoient les mêmes cercles où l’on échange avec des écrivains, des peintres, des musiciens, des comédiens, et même des parfumeurs comme la famille Guerlain…

Il se sont croisés, c’est sûr : on ne connaît aucune représentation de Degas par Manet tandis que Degas a fait de nombreux portraits de Manet. L’un d’eux était une peinture le montrant en train d’écouter son épouse au piano. Insatisfait par ce tableau qui lui avait été offert, Manet aurait coupé la partie de la toile où était représentée sa femme. Ce geste, d’une grande violence symbolique, serait à l’origine de l’une des plus fameuses brouilles entre les deux artistes, lit-on dans le catalogue.

S’ensuivent d’autres tensions tandis que les peintures exposées permettent d’appréhender l’impressionnisme sous un angle inédit. Comme si ce pan de l’histoire de l’art s’était bâti sur une sorte de chassé-croisé : après la guerre de 1870-1871, Manet se tient à distance du mouvement dissident, alors même que sa peinture y fait allégeance. À l’inverse, Degas prend la tête du groupe tout en affichant son mépris d’une approche trop sensible du réel. 

En réalité, Degas et Manet n’ignorent pas la poussée d’un certain « paysagisme de plein air », qui repose sur l’unité du motif et la mobilité de la perception. Ils s’en emparent assez vite, avec audace et un certain opportunisme, car les débouchés commerciaux à Londres et Paris des marines et des scènes de bain ne sont pas à bouder. « Rendre son impression », pour citer Manet, lui apparaît comme une nécessité. Mais comme Degas, il explore un impressionnisme à part. 

Et c’est ainsi que les thèmes abordés dans cette exposition défilent au gré des succès de l’un et de l’autre. Après la phase « Copier, créer, étudier », on aborde les Portraits en passant par les Salons, le Défi des genres et le cercle Morisot. Aux courses, chacun dépeint le frisson et le mouvement, tandis que d’une Guerre à l’autre, on assiste à des « arrêts sur image ». 

Quant aux relations des deux artistes avec les femmes, elles se présentent en couleur et subtilité. Séducteur, Manet, n’est, de l’avis de ses contemporains, jamais aussi à l’aise qu’entouré d’une société féminine. Tout aussi proverbiale est, à l’inverse, la réserve de Degas, lui dont la vie « fut toujours mystérieuse au point de vue sentimental ». Il n’aurait, de son propre aveu, « jamais fait beaucoup la noce »… Ces différences de tempérament se retrouvent dans leurs œuvres : tandis que l’un représente des femmes dont la pose et le regard traduisent une certaine assurance, l’autre dépeint des relations entre hommes et femmes presque toujours troublées ou déséquilibrées. Le traitement que Degas accorde au nu féminin lui vaut même la réputation d’un artiste misogyne. La réalité est autrement plus complexe et l’on perçoit dans ses écrits la sensibilité d’un homme préoccupé par son cœur et rêvant de félicité conjugale.

À chacun de juger face aux toiles…

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