Nez à Nez avec Daniela Andrier, Christophe Raynaud et Antoine Maisondieu pour le lancement du nouveau parfum masculin D’Yves Saint Laurent, MYSLF

Par Yves Saint-Laurent Beauté

Daniela Andrier, vous êtes à l’origine de ce parfum que vous avez travaillé avec Christophe Raynaud et Antoine Maisondieu. Quelle vision avez-vous voulu exprimer à travers MYSLF ?

Daniela Andrier : Ce qui a présidé à ce développement, c’était qu’il devrait plaire au plus grand nombre, mais sans enfoncer de portes ouvertes. Ce qui me tenait à cœur, et ce que je pense réussi, c’était que la dimension poétique du parfum soit au rendez-vous. Cette fragrance est née d’un rêve. J’ai imaginé la fleur d’oranger qu’aurait pu porter Yves Saint Laurent, à Tanger…

De gauche à droite : Daniela Andrier, Antoine Maisondieu, Christophe Raynaud, parfumeurs de la maison de création Givaudan pour MYSLF d’Yves Saint Laurent © YVES SAINT LAURENT BEAUTÉ

Quand vous avez travaillé, vous avez pensé à un type d’homme en particulier ? Est-ce que vous avez observé des jeunes hommes autour de vous ?

Antoine Maisondieu : Comme c‘était une idée de Daniela, j‘ai surtout pensé à respecter sa conception de la masculinité et de la poésie, dont je pense que je ne suis pas très éloigné. Ma vision de la masculinité n‘a pas changé depuis que j’ai commencé la parfumerie, elle est juste un peu plus à la mode aujourd’hui. Tout ce qui est un peu trop agressif, brutal, macho, j’étais content que ça parte.

Daniela Andrier : On vit dans une époque de clichés, en parfumerie comme au cinéma ou dans les Iivres. Vite compréhensibles, pas très subtils. Avec MYSLF, on a eu le temps de travailler la subtilité, justement parce qu‘iI s‘adresse à des gens, à des jeunes qui ne sont pas dans le désir d‘être dans le cliché, mais plutôt de les déconstruire, de s‘en affranchir.

Comment cette idée de proposer une fleur d’oranger au masculin vous est-elle venue ?

Daniela Andrier : Lors de vacances de Noël à Tanger, j‘étais obsédée par la recherche de nouvelles fleurs d’oranger dans le souk. J‘en suis revenue avec des tas de fioIes et tout cela m’a inspiré une fleur d‘oranger que je voulais très naturelle et très riche. J’ai appelé la note L‘Homme de Tanger, parce que là-bas, mon mari et moi étions juste à côté de la maison d’Yves Saint Laurent. Ça m‘avait beaucoup inspirée, parce que je I’imaginais partout dans cette ville avec ses palais, sa végétation luxuriante, comme une présence… Comme je Ie disais, j‘ai donc imaginé cette fleur d’oranger qu’aurait pu porter Yves Saint Laurent, qui buvait son café sur cette place où j’ai moi-même pris un café… Voilà comment cette note est née, dans un monde très poétique.

Pourquoi la fleur d’oranger est-elle aussi inspirante, pour les parfumeurs ?

Christophe Raynaud : L’oranger, c’est quelque chose que les parfumeurs aiment beaucoup travaiIIer puisqu’on utilise tout, dans cet arbre : la fleur qui donne le néroli et l’absolu, le petit grain qui vient de la tige et des feuilles, l’orange amère qui donne son essence. Dans MYSLF, on a eu recours à toutes ces facettes pour avoir quelque chose de très frais, de très propre, et quelque chose de plus floral avec la fleur d’oranger elle-même.

Daniela Andrier : La fleur d’oranger est un véritable Protée. C‘est la seule matière première que les parfumeurs aient à Ieur disposition qui puisse exprimer, selon la façon dont elle est travaiIIée, tous les stades de la vie et tous les genres : le nouveau-né, la mariée, un homme totalement viril…

Y a-t-il une vision particulière de M. Saint Laurent, du style YSL en général, qui vous a guidée dans ce développement ?

Daniela Andrier : Ma mère, dans les années 1970, s’habillait chez Yves Saint Laurent et se parfumait avec Rive gauche. Donc, pour moi, Saint Laurent, ce sont les images de cette femme que j’admirais beaucoup, que je trouvais très belle et très élégante. Dans mon imaginaire, si on dit Saint Laurent, je suis très touchée par le passé de la maison et par ses racines.

Antoine Maisondieu : C‘est son côté méditerranéen que je retiens. Quand j‘ai lu sa biographie croisée avec KarI Lagerfeld, j‘ai trouvé ça passionnant. L‘homme. Son époque. Son élégance assez poétique.

Christophe Raynaud : J‘aime bien ce côté trouble d’Yves Saint Laurent, je trouve que ça donne beaucoup de caractère. Dans MYSLF, même si on est une vraie masculinité, il y a toujours une petite ambiguïté dans l’olfactif, ce côté narcotique un peu animal qu‘il y a dans la fleur d’oranger. Et moi c’est ce que j’ai eu à l’esprit tout le Iong. C’est toujours trouble, c’est toujours fort. C’est ça que j’ai aimé dans le côté fleur d’oranger, c‘est comme ça que je l’ai vécu.

Daniela Andrier : L‘image qui résume bien ce projet, c’est le portrait nu d‘Yves Saint Laurent, avec ses lunettes [par Jeanloup Sieff]. C’est un homme qui n’a pas peur de se montrer, avec un regard très perçant. Rien n‘est fait pour enjoliver, tout est fait dans une forme de beauté assez directe.

Christophe Raynaud : Résultat, on fait tous faire nos lunettes chez le même lunettier qu‘Yves Saint Laurent.

Comment avez-vous travaillé cette fragrance à trois ? En quoi vos écritures olfactives se sont-elles complétées ?

Christophe Raynaud : Chacun rebondit ou échange. Moi, j‘aime bien apporter de la puissance et de l‘impact à la note.

Antoine Maisondieu : Ce que j’aime bien quand je travaille la note de quelqu‘un, c’est la comprendre, essayer de la respecter, en lui amenant ce qui lui manque. En I ‘occurrence, les notes de Daniela sont assez simples et sensibles. Les formules sont courtes, donc je comprends. J’aime beaucoup ce travail qui est plutôt technique. J’imagine que quand quelqu’un restaure un tableau, il doit respecter l’œuvre mais aussi amener des matières qui n‘y étaient pas lorsqu‘elle a été créée. Moi je vois ça comme ça, comme un travail par couches, assez subtil.

Christophe Raynaud : Moi je suis moins subtil, je bouscule plus. On a besoin d’aller Ioin et de revenir. Donc c’est pour cela qu’on travaille ensemble. Et qu’on aime Ie travail de l’autre, c’est important. Je ne peux pas travaiIIer avec des gens que je n’aime pas, dont je n’admire pas Ie travail.

Daniela Andrier : C’est assez amusant parce que c’est très efficace. Quand je suis à l‘origine d’un parfum, j‘y rentre comme chez moi. Je remarque tous les changements, comme si dans mon salon les choses avaient changé de place. Donc il y a des canapés qui sont parfois bougés et que je remets systématiquement à l’endroit qui me semble le bon. Mais je remarque que le vase a été dépIacé et que c’est beau et je garde le vase.

Ce parfum, c‘est aussi pour vous une véritable prise de position olfactive, notamment parce qu’il est très diffusif sans être du tout agressif, contrairement à une bonne part de l’offre contemporaine pour les parfums masculins.

Daniela Andrier : Pour moi, il est plus intéressant finalement de travaiIIer pour le plus grand nombre. Cet engagement consiste à essayer de changer ne serait-ce qu’un tout petit peu les choses. Pour le grand nombre, on s‘engage davantage dans quelque chose de plus intéressant. Parce que si I‘on travaille pour quelques happy few, c’est finalement plus facile. II y a quelque chose d’un véritable parti-pris pour moi dans Ie fait d‘essayer de mettre un peu de passion, de notre amour de ce métier, de notre amour tout court dans ce parfum, pour que quand les gens l’achètent, ils aient un peu de ça.

Antoine Maisondieu : C‘est parler aussi de la subtilité. Dans le monde d’aujourd’hui, je trouve intéressant justement que la diffusion et le sillage ne soient pas agressifs, que les choses puissent être nuancées. Un parfum sans sillage, c‘est dommage, mais un parfum avec trop de sillage, ça peut être encore plus dommage.

Christophe Raynaud : Je pense qu‘hélas, dans I‘industrie, bien souvent on privilégie I’impact et la diffusion au détriment de I‘esthétisme. Là, sur MYSLF, on est droit dans nos bottes, on a quelque chose d’esthétique, on a quelque chose de puissant, de diffusif, mais on n‘est pas agressif, on reste beau, raffiné.

Cette finesse d’un sillage qui respire, qui est intelligible sans enfoncer des portes ouvertes, c’est aussi une prise de position forte.

Daniela Andrier : Cette subtilité, elle est dans un parfum qui est rempli d’un amour du parfum. Et quand on aime vraiment le parfum, au lieu de vouloir juste gagner, on veut donner cette chose un peu plus jolie, qui donne un petit peu plus de tendresse, petit peu plus d’optimisme. Je pense que c’est ce qu’on a réussi à préserver sans trop céder au chant des sirènes de la commercialité.

Antoine, être MYSLF en parfumerie, c’est quoi pour vous ?

Antoine Maisondieu © YVES SAINT LAURENT BEAUTÉ

Antoine Maisondieu : Ce serait d‘être est dans une forme de différence, mais pas choquante, avec beaucoup de simplicité. Et qui dans mes parfums je pense se retrouve. Ce n’est pas de créer du fou, du jamais senti, mais une vraie différence, avec une simplicité, une accessibilité, comme ce que disait Daniela tout à l’heure sur la parfumerie plus populaire. Moi, je suis à fond pour ça. Et je pense même que la parfumerie, tout en offrant des produits de luxe, est un art populaire, bien avant d’être élitiste. Parce qu‘il s‘agit d’un luxe accessible au plus grand nombre.

Christophe, être MYSLF en parfumerie, pour vous ?

Christophe Raynaud : Je veux qu‘à la personne qui porte le parfum, on dise « Tu sens bon. » C’est de réussir à faire ça. Toujours. Toujours. Toujours. Parce que je n’oublie pas que ce parfum, les gens le payent, pour certains un flacon c’est très précieux, d’où I’importance de la diffusion. C‘est le but recherché.

Pour conclure, Daniela, dites-nous, être MYSLF en parfumerie, c‘est quoi pour vous ?

Daniela Andrier : C’est créer des parfums où Ie naturel a une place importante. Une rencontre dans un pays imaginaire. Ce que j‘aime beaucoup, c’est que les gens me disent d’un parfum, « c’est ma mémoire » S‘ approprier ce que le parfum redonne de présence, pas dans un sens nostalgique, mais comme une âme. Quelque chose qui nous aide finalement à être nous-même d’une façon très tendre, un peu comme des bras tendres qui nous rassurent et nous permettent d’être pleinement nous-même. Pour moi, Ie parfum, ça doit être ça. C’est une alchimie très magique. J‘oublie, ou je voudrais oublier à quel point c’est quelque chose de commercial. Ce que j’ai le plus envie de faire, c‘est de transmettre beaucoup de tendresse dans le parfum, une tendresse de la vie, de quelque chose qui nous réconforte dans tout ce qui nous arrive et que le parfum nous accompagne d’une façon merveilleusement tendre. Voilà, on est un peu à cheval entre rêve et réalité. Mais le parfum, c‘est ce qui nous parle sans cesse, au fond, de l’amour et de la vie. C‘est notre identité.

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