Nez à Nez avec Elodie Bernadi

Elodie BERNADI, directrice Développement
Durable, l’Oréal France

Elodie BERNADI, directrice Développement Durable au sein de la filiale France du groupe L’Oréal, partage avec nous la vision de L’Oréal dans son engagement environnemental et social pour la filière parfum.

Par Luce Grossetête

Le groupe L’Oréal crée et commercialise les parfums des marques telles que Yves Saint Laurent, Armani ou Prada, et fait partie des leaders sur le marché français et dans le monde. D’après vous, quels sont les défis environnementaux majeurs que la catégorie du parfum doit relever ?

Chez L’Oréal, la manière dont les sujets de l’impact et de notre transformation durable sont abordés est de fonctionner en cohérence avec les Limites Planétaires, c’est-à-dire de respecter les capacités de la planète à se régénérer.

Avec le programme « L’Oréal pour le Futur », notre feuille de route de transformation durable vise à décarboner notre activité, réduire l’usage de l’eau dans nos procédés industriels, préserver la biodiversité, sortir des ressources non renouvelables et ce, dans un esprit de justice sociale et en améliorant les conditions de vie de toutes les parties prenantes qui travaillent avec nous.

C’est vrai pour toutes nos divisions, dont le luxe et donc notre portefeuille parfums.

« L’Oréal pour le futur » @L’OREAL

Si l’on regarde « l’objet parfum », les angles de travail portent sur l’emballage et sur les formules.
Le parfum est un produit de l’univers du luxe : l’essence du luxe, c’est de créer des produits beaux et désirables, que l’on a envie de garder. C’est le cas d’un flacon de parfum, qui est une œuvre d’artisanat et d’art.

Ainsi, hormis le travail sur un packaging plus léger et sur des matériaux plus innovants, un sujet important est celui de la recharge : la recharge est cohérente avec la catégorie parfums, car elle permet de conserver les flacons.

Au sein de L’Oréal, nous avons des marques qui œuvrent sur ce sujet depuis longtemps, par exemple Thierry Mugler qui, dès les années 90, a perçu avec Angel que ce joli flacon en forme d’étoile était conçu pour être gardé. Depuis 1992, la fontaine Mugler permet donc aux clients de recharger leurs précieux flacons en magasin. Aujourd’hui, il y a plus de 10 000 fontaines Mugler dans le monde, et les emblématiques Angel Eau de Parfum, Alien Eau de Parfum, et Alien Goddess Eau de Parfum sont rechargeables à la fontaine.

Inspirés par ce succès, nous avons également lancé cette année le projet pilote d’un « mural de fontaines » de parfums multimarques en partenariat avec Sephora qui permet aux clients de recharger directement leurs flacons vides de parfums à succès, tels que Armani My Way, Lancôme La Vie Est Belle ou Mugler Angel.

Aujourd’hui, l’approche de L’Oréal est double : on peut donc recharger son parfum en magasin grâce aux fontaines et l’on peut également recharger son flacon chez soi, à l’aide d’une recharge standard avec bec verseur, facile à utiliser. Immédiatement, de vraies économies de matériaux sont faites : les fontaines peuvent réaliser plusieurs dizaines de remplissages ; quant à la recharge à la maison, par exemple sur La Vie Est Belle, avec une recharge de 100mL, on a 50% de poids de verre en moins, et 40% de plastique en moins.

Concernant nos jus, grâce aux « Sciences Vertes », nous veillons à transformer toute notre chaîne de valeur R&I : de la culture durable des ingrédients en passant par leur extraction et leur transformation par biotechnologie ou chimie verte, nous repensons entièrement notre recherche pour bouleverser l’innovation scientifique.

Un exemple avec Prada Paradoxe dont l’ambre, signature de son jus, a été obtenue grâce à un nouveau procédé de bioconversion en plusieurs étapes, qui permet d’obtenir naturellement de l’ambre (AmbrofixTM) à partir de canne à sucre plutôt que de la sauge, nécessitant 100 fois moins de terres agricoles que les terres traditionnelles. Un procédé mis au point dans le cadre du partenariat entre L’Oréal et Cosmo International Fragrances, qui ouvre la voie à l’avenir de la parfumerie.

Paradoxe, Parda

Enfin, d’une façon plus globale, nous sommes plus forts pour relever les défis environnementaux si nous travaillons ensemble, avec toute la filière ; prenons par exemple l’initiative volontaire Eco Beauty Score, à laquelle plus de 70 acteurs de la Beauté au niveau mondial, dont L’Oréal, ont adhéré.

L’objectif est de donner accès au consommateur à l’impact environnemental de chaque parfum, afin qu’il ou elle puisse réaliser son acte d’achat en cohérence avec ses valeurs. Pour nous, cela signifie de nous rassembler entre partenaires et concurrents, et partager nos données. C’est un vrai engagement.

La signature olfactive d’un parfum est le plus souvent liée à un ou plusieurs ingrédients emblématiques. Quels sont les engagements/partenariats du groupe L’Oréal avec sa chaîne de valeur, depuis les maisons de composition, jusqu’aux régions où les ingrédients sont récoltés ?

En effet, nous travaillons main dans la main avec nos partenaires, sur toute notre chaîne de valeur.
Par exemple, toujours dans le cadre de notre partenariat avec la société de composition Cosmo International Fragrances, nous ouvrons la voie à une nouvelle manière d’envisager la parfumerie. En effet, ce partenariat a donné le jour au premier procédé d’extraction « Green Sciences » à faible consommation d’énergie, qui permet de capturer parfaitement l’odeur de la matière première, tout en préservant l’intégrité de la plante, sans utiliser de solvant pétrochimique ni d’eau.

Ce partenariat est tout récent, et nous travaillons sur un premier extrait, pour le lancement d’un parfum d’une de nos marques Haute Couture mi-2024.

Un autre exemple, au plus près de la récolte des extraits : la marque YSL Beauté a développé depuis 2014 une filière d’approvisionnement durable dans le sud du Maroc, les Jardins collectifs de l’Ourika. Il s’agit d’un espace de culture botanique, conçu pour préserver les écosystèmes naturels et avoir un impact positif sur la biodiversité. Les Jardins de l’Ourika sont également un espace d’inclusion sociale : ils soutiennent la création d’une coopérative de 32 femmes pour cultiver chacune des plantes des jardins ; plus globalement, ce programme social vise à promouvoir les compétences des habitants de la région pour favoriser leur indépendance financière. En 2022, plus de 20 millions de produits YSL contenaient au moins un ingrédient venu des Jardins1.

1 https://www.yslbeauty.fr/ourika-community-gardens/jardins-de-l-ourika.html

On pourrait également citer l’exemple de la vanille bourbon présente dans Armani SI : elle provient de Madagascar, où nous avons noué un partenariat avec l’association Fanamby et les communautés agricoles, en collaboration avec la maison de composition Mane, afin de garantir le revenu et la formation des cultivateurs, et in fine augmenter la productivité tout en préservant l’écosystème local2.

Chez L’Oréal, dans nos engagements avec nos partenaires, nous visons à corréler sourcing durable et sourcing équitable : optimiser la qualité des ingrédients et leur rendement, tout en préservant les sols, leur capacité de régénération, et en ayant un impact équitable pour la population qui travaille sur place.

2 https://www.loreal.com/fr/articles/l-oreal-pour-le-futur/madagascar-le-sourcing-durable-de-la-vanille/

Dans le cadre de la feuille de route Sustainability à 2030 « L’Oréal for the future », comment le groupe engage-t-il ses collaborateurs et collaboratrices en interne ?

D’abord, il y a l’information et la sensibilisation de nos équipes.
Chaque personne qui arrive chez L’Oréal France est sensibilisée, lors de son parcours d’intégration, à la sustainability et à notre feuille de route, notamment via la participation à la Fresque du Climat, que 75% des salariés ont déjà suivi.

Ensuite, nous avons développé des formations internes baptisées «Going sustainable together », adaptées à chaque métier, que chacun peut suivre en fonction de ses besoins. Chaque année, nous avons un jour dédié à notre transformation durable « One day for the future » : tous les salariés y participent. Nous y partageons notamment les grands chantiers en cours, thème par thème, division par division…

Par ailleurs, au sein de L’Oréal une communauté de « sustainability leaders » regroupe 300 personnes 100% dédiées à notre programme « L’Oréal for the Future », et qui sont organisées par divisions, zones géographiques, pays…
Il s’agit d’un sujet important de gouvernance : les directeurs de développement durable siègent au comité de direction de leur entité. La direction sustainability est une fonction à part entière qui a sa part de voix, au même titre que les autres fonctions d’un Codir chez L’Oréal. Notre patronne sustainability Alexandra Palt siège au Comité Exécutif du groupe.

Ainsi, le développement durable est totalement intégré aux réflexions et actions liées à la pérennité et la stratégie de l’entreprise.
Chez L’Oréal, certains de ces « sustainability leaders » viennent du business. Ils ont en tête les contraintes et les leviers d’une transformation opérationnelle. Pour dire « il faut décarboner les transports », il faut être allé dans un de nos entrepôts pour comprendre la préparation de commande et notre organisation supply, il faut également connaître les enjeux commerciaux qui, très souvent, sous-tendent ces politiques supply, avoir en tête les enjeux de nos clients etc… Cela permet une posture de militant pragmatique.

Enfin, plusieurs KPIs de notre transformation entrent dans nos rémunérations variables.

Ces 3 grands leviers -formation, gouvernance, rémunération variable- nous permettent de mobiliser et d’embarquer toutes et tous.

Raréfaction des ressources, upcycling, évolution des consommations… D’après vous, à quoi ressemblera la parfumerie de demain ?

La transformation durable et nos enjeux de sobriété sont une très belle opportunité pour le luxe. Nous pouvons redonner leurs lettres de noblesse aux jus, à leurs contenants ; revaloriser le geste du parfum, avec son côté poétique, artistique et intime.

Ce flacon, qui a vocation à rester dans sa salle de bains -ou sur une coiffeuse si on a la chance d’en avoir une !-, est une chance pour nous de développer ces objets d’art.

Il s’agit aussi de développer nos services : si l’on garde son flacon pendant dix ans par exemple, il faut pouvoir le personnaliser, afin de se l’approprier. L’aide à la recharge en magasin est aussi importante, afin que recharger son parfum devienne un plaisir pour notre cliente. L’idée est donc de développer le réemploi pour préserver nos ressources, pour décarboner, et en même temps redonner du sens, de la valeur, du storytelling, dans ce flacon pérenne.

Comment rendre la recharge désirable ? Par les assets de communication. Par exemple, Emma Watson, l’égérie de Prada Paradoxe, montre comment remplir sans effort son flacon de parfum et explique les importantes économies de matériaux que cela représente.
Le parfum est souvent offert en cadeau. Il faut que ce soit valorisé d’offrir une recharge : il s’agit là d’un grand changement de mode de consommation.

Changer une habitude de consommation prend entre 10 et 15 ans, sauf qu’on ne les a pas : on doit le faire en 5 ans. C’est un défi pour nous.

Les abonnés de la newsletter de la Fragrance Foundation sont avant tout des amoureux du parfum. Alors, Elodie, pourriez-vous nous dire en quelques mots ce que le parfum représente pour vous et comment vous voyez le rôle de la Fragrance Foundation en France ?

Le parfum m’évoque l’émotion, l’art, et la tendresse aussi, car les parfums sont comme des madeleines de Proust : c’est notre grand-mère, notre père, notre amoureux…
En France, le parfum est aussi de l’ordre du patrimoine, de notre savoir-faire qui rayonne à l’international. Pour le Groupe L’Oréal, quasiment 100% de nos parfums sont produits en France. Cette origine et ce rayonnement, nous y tenons beaucoup.

Le parfum forme un lien entre le passé, le patrimoine, et l’originalité, le futur.
C’est un savoir-faire à préserver, de l’ordre de l’artisanat, de l’art. Le rôle de la Fragrance Foundation France est le rayonnement de ce savoir-faire, qu’il faut préserver, valoriser, raconter, afin que chaque parfum conserve son identité, sa raison d’être, et que ce soit une catégorie de la beauté qui porte la singularité de notre filière et de nos maisons.

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