Par Isabelle SADOUX

… C’est ce que raconte l’exposition en cours « Suresnes, ville de parfumeurs » visitée pour vous. Elle retrace cette riche histoire qui débute avec l’industrialisation des berges de la Seine au 18ème siècle et se poursuivit avec le développement de la parfumerie moderne au début du 20ème siècle.
De Jean-Louis Fargeon à François Coty en passant par la famille Worth, l’exposition fait revivre les grandes figures de la parfumerie.
La ville de Suresnes commence son histoire avec le parfum au 18e siècle, lorsque Jean-Louis Fargeon s’installe rue de Saint-Cloud, près du château de la Source. Il est alors parfumeur de la reine Marie-Antoinette et quitte Suresnes peu après la Révolution. Originaire de Montpellier et issu d’une famille d’apothicaires parfumeurs, il devient « maître gantier parfumeur » en 1774. Par la suite, il s’impose comme « Parfumeur du Roy et de la Cour ». Pour Marie- Antoinette, il fabrique des gants parfumés, imagine des eaux spiritueuses de rose, de violette ou encore de jasmin, obtenues par distillation ; il fournit une poudre et une pommade « à la Reine », qui lui sont réservées.
En 1786, il installe ses ateliers à Suresnes, proche du château de Saint-Cloud, dont Marie-Antoinette est propriétaire. Les coteaux sont couverts de vignes mais également de champs de « roses de Puteaux », fleurs très utilisées par le parfumeur dans ses compositions
Parfums Worth à l’honneur
Plus d’un siècle après, en 1924, l’ingénieur-chimiste, Maurice Blanchet s’installe à Suresnes où il construit des ateliers et des laboratoires.
Il développe la marque Coryse-Salomé puis Worth. L’usine de Suresnes occupe 7000 mètres carrés dont 4 500 mètres carrés couverts. Il modernise l’usine en installant des cuves de 250 à 1 000 litres d’alcool pur et de mélanges envoyés ensuite dans des circuits de refroidissement et de filtres sous pression.

Il complète par la mise en place de chaînes de remplissage de flacons permettant de produire 300 flacons par heure. Il travaille à partir de matières premières naturelles dûment sélectionnées dans le monde entier et y adjoint de nouvelles molécules de synthèse provenant de chez Justin Dupont et de chez Roure Bertrand.
Il est bientôt contacté par Jean-Philippe Worth, héritier de Charles-Frederick couturier attitré de l’impératrice Eugénie qui, au milieu du XIXe siècle, avait fait construire un imposant château à Suresnes.
Avec le verrier René Lalique, ils créent Dans la nuit en 1924, dans un flacon bleu nuit décoré d’étoiles. Maurice Blanchet obtient à cette époque un contrat d’exploitation pour plusieurs décennies. Leur collaboration continue avec Vers le Jour (1925), flacon ambré à décor de chevrons, présenté au salon des Arts Décoratifs.

René Lalique et Maurice Blanchet continuent à travailler avec Jacques, neveu de Jean-Philippe. Ils créent en 1929 Sans Adieu, dans un flacon vert. Les parfums Worth sont de plus en plus recherchés : la qualité des jus, associée aux somptueux flacons de René Lalique, en font des parfums précieux.
Avec Je Reviens en 1932, le nom de Worth s’impose définitivement dans la parfumerie de luxe. Empreint d’une puissante séduction avec ses notes capiteuses et fleuries, il est présenté dans un imposant flacon cylindrique en verre bleu, dans le plus pur style Art Déco. Ce parfum, vedette de la maison, traverse toutes les modes et reste longtemps un grand classique.
Grâce à leurs succursales multiples, les parfums Worth sont présents dans le monde entier. La Seconde Guerre mondiale ralentit la production de toute la parfumerie et interrompt la création. Jusqu’à ce que la marque soit rachetée par le groupe Lamotte en 1988…
Fief de François Coty

C’est aussi sur les bords de Seine à Suresnes, qu’en 1904, François Coty installe son usine qu’il agrandit rapidement pour recouvrir une surface de 50 000 m2. Il centralise toute la chaîne de production : direction, laboratoires, ateliers de fabrication, ateliers de remplissage des flacons, magasin central des produits finis.
À partir de 1910, René Lalique confectionne des flacons exclusifs pour les parfums de François Coty. Ce dernier est aussi à l’origine des accords majeurs qui ont révolutionné la parfumerie et continuent d’inspirer les créateurs d’aujourd’hui : l’accord Ambre (construit autour de la vanille et du ciste, incarne la chaleur et la sensualité), l’accord Origan (mariant fleurs blanches, épices et notes poudrées, offre une fragrance raffinée et élégante), l’accord Chypre (basé sur le patchouli, le ciste et la mousse de chêne, se distingue par sa profondeur et son caractère affirmé).

Le choix d’un parfum permet d’affirmer une personnalité, de forger une identité : selon Coty « chaque femme doit étudier sa propre personnalité et alors choisir le parfum qui lui convient. Il lui incombe de chercher le moyen d’exprimer sa personnalité morale, son émotivité, ses aspirations profondes aussi bien que son apparence extérieure. Les parfums doivent constituer une émanation de l’âme de la femme » (1924).
Une belle ambition toujours d’actualité illustrée tout au long de cette exposition composée de photos d’archives, flacons, affiches et autres témoignages !

Jusqu’au 15 juin 2025 au MUS, place Michel Colucci dit Coluche. 92 Suresnes