Par Lionel Paillès

Icône incontestée de la mode italienne, Giorgio Armani vient de disparaître à l’âge de 91 ans. Cet esthète n’a cessé de redéfinir les codes du luxe avec une vision épurée et intemporelle. Cette philosophie, profondément ancrée dans son approche du vêtement — lignes nettes, sophistication sans ostentation, style fluide et presque architectural — s’est tout naturellement prolongée dans l’univers de la parfumerie. Dès ses premières créations olfactives, Armani transpose son esthétique minimaliste dans des fragrances empreintes d’équilibre et de retenue. Là où les années 1980 voient l’apogée des sillages opulents et démonstratifs, le créateur milanais adopte une approche plus mesurée, où la simplicité devient synonyme de raffinement. Ainsi, Armani pour Femme (Roger Pellegrino, 1982) incarne une féminité maîtrisée, presque distante, à travers un cœur floral sophistiqué dynamisé par la fraîcheur pétillante des aldéhydes et une touche végétale verte. Deux ans plus tard, Armani pour Homme (1984) poursuit cette recherche de sobriété avec une rigueur exemplaire. Ce parfum impose un nouveau langage masculin, loin des excès, ancré dans la retenue et l’élégance discrète. Ces deux premières créations posent les bases d’une identité olfactive résolument moderne, miroir fidèle de l’univers stylistique du créateur.
Un tournant majeur s’opère en 1996 avec le lancement d’Acqua di Giò pour Homme (Alberto Morillas). Inspiré des paysages méditerranéens de l’île de Pantelleria, chère au cœur d’Armani, ce parfum incarne une nouvelle vision de la masculinité : fraîche, lumineuse, presque aérienne. Ses notes marines, hespéridées, florales et boisées rompent avec la tradition des parfums masculins puissants, ouvrant la voie à une parfumerie plus naturelle, « propre » et épurée. Grâce à un partenariat stratégique avec L’Oréal, Acqua di Giò devient rapidement un best-seller mondial, encore aujourd’hui l’un des parfums pour hommes les plus vendus.


Il marque aussi le début d’une tendance vers des compositions plus modernes et accessibles, tout en restant sophistiquées. Presque deux décennies plus tard, Armani continue d’innover en donnant naissance à Sì (Christine Nagel, 2013). Cette fragrance, décrite comme un « néo-chypre », revisite les codes du genre avec finesse : un nectar lumineux de cassis, freesia, rose et patchouli, où la sensualité se fait élégante, contemporaine. La maison poursuit cette évolution avec My Way (2020, Carlos Benaïm et Bruno Jovanovic), un bouquet de fleurs blanches pensé pour une nouvelle génération. Ce parfum se distingue non seulement par son élégance olfactive, mais aussi par son engagement environnemental clair : il se revendique « neutre en carbone », un pas important vers une parfumerie plus responsable.


Mais l’une des plus grandes contributions de Giorgio Armani à l’univers du parfum réside sans doute dans la création de la collection Armani Privé en 2004. Véritable manifeste de Haute Parfumerie, cette ligne exclusive s’impose comme une extension olfactive de la couture. Chaque fragrance y est pensée comme une œuvre d’art, inspirée par des matières premières rares, des souvenirs intimes, des cultures anciennes ou des voyages lointains. Les flacons, épurés et géométriques, traduisent l’esthétique architecturale et minimaliste chère au couturier. Parmi les créations emblématiques de la collection élitiste, citons Ambre Soie, Bois d’Encens, Cuir Améthyste ou encore Pivoine Suzhou — autant de parfums qui témoignent d’un savoir-faire d’exception et d’une exigence rare, tant dans la sélection des ingrédients que dans la construction des accords.
Avec Armani Privé, le créateur milanais est l’un des pionniers des collections dites « exclusives », désormais adoptées par de nombreuses maisons. Il élève ainsi la parfumerie au rang d’art, entre intimité et sophistication, et réussit à séduire à la fois le grand public et les amateurs éclairés. Ce qui distingue fondamentalement l’approche d’Armani des autres, c’est sa fidélité à une certaine idée du luxe : silencieux, maîtrisé, durable. À contre-courant de la séduction tapageuse ou de l’exubérance, ses créations olfactives cultivent une élégance tranquille, une forme de raffinement discret, toujours en résonance avec l’air du temps. Un style unique qui a permis à Giorgio Armani de laisser derrière lui plusieurs grands classiques, et de continuer à définir, année après année, les contours d’un luxe intemporel.