« Odore » : L’art, l’odeur et le sacré à la Galerie Pauline Pavec

Voilà un sujet bien peu exploré dans le monde de l’art. D’ailleurs c’est une proposition quasi-muséale que nous fait Pauline Pavec par le truchement du commissariat brillant de Sandra Barré, spécialiste de l’art olfactif. Oui, vous avez bien lu.

Et l’art olfactif, ça existe précisément depuis quand ? Surtout depuis qu’un certain Marcel Duchamp, en 1919, a l’idée d’encapsuler de l’Air de Paris et de l’offrir à son principal mécène. Dans l’espace pourtant réduit de la galerie, Sandra Barré nous invite à découvrir les effluves laissés par Sarkis, Orlan, Sarah Trouche, entre autres, et hissés au rang d’œuvres d’art. L’effluve immatériel, que sent-il, que rappelle-t-il ? Quelle promesse mystique ou magique se cache derrière le sillage de Dieu dans le travail de Roman Moriceau ou les cartes sentant le bacon d’Antoine Renard ? Les questions et les correspondances qu’effleure cette exposition mériteraient une prochaine halte dans un grand musée.

Sandra Barré, quelle est l’idée qui a prévalu à l’organisation de cette exposition ?

Je voulais mettre en avant le médium de l’olfaction dans l’histoire de l’art et envisager comment on pouvait l’intégrer, un peu ou totalement. C’est pourquoi j’ai choisi le biais du sacré car c’est un peu le passage obligé pour installer un art au rang des Beaux-Arts, une espèce de clin d’œil. Tous les arts sont nés ou sont passés par le sacré.

On sent une odeur dans cette exposition d’ailleurs, laquelle ?On en sent plein en réalité. Presque chaque œuvre sent quelque chose. Il y a d’ailleurs des œuvres qui sont équipées de dispositifs que l’on doit activer tous les matins. Tout comme on peut activer le son ou la vidéo de certaines installations, le parfum fait partie intégrante de ces œuvres d’art. Ce que l’on sent dépend des flux, des personnes, de la température. Quand on n’a pas de culture olfactive c’est compliqué, mais c’est également cela qui est intéressant. On ne nous a pas appris à associer telle odeur avec tel mot, il y a souvent une absence de précision dans le langage, contrairement aux couleurs.

Pourquoi ce sujet est-il si peu exploré dans l’art ?

L’odorat est un sens qui est trop relié à l’animalité. Or de tous temps, la philosophie, la religion, la science, ont cherché à nous éloigner de l’animal, à élever l’Homme. C’est une des raisons pour lesquelles on a tout focalisé sur les sens de l’intellect qui sont la vue et l’ouïe. L’idée était donc de partir d’artistes historiques, comme Duchamp ou Beuys, et de tirer le fil jusqu’à des artistes contemporains.

Duchamp, encore lui, a été pionnier de l’art olfactif ?

Oui, ici nous montrons une pièce qui a été remise au goût du jour par l’artiste contemporain Mathieu Mercier, l’Air de Paris. C’est une ampoule en verre que Duchamp a réalisé une première fois et cassée. Ensuite il l’a rééditée plusieurs fois. L’Air de Paris a été pensé par Duchamp en 1919 pour son ami et mécène, un riche Américain du nom de Walter Arensberg. L’artiste cherchait un cadeau à lui offrir et se demandait ce qui pourrait être assez bien, assez particulier pour lui. Du coup, il s’est dit qu’il allait envoyer un peu de cet air de Paris, si propre à la créativité.

Il trouve une ampoule pharmaceutique, objet assez commun à l’époque, il casse le bout de l’ampoule contenant du sérum physiologique, attend que le liquide s’écoule et que l’ampoule se remplisse d’air, puis va y apposer un sceau avec le titre. Tout est dans ce geste de remplacer l’eau par l’air, dans un contenant de verre, de lui donner un nom, c’est la même démarche que celle du parfumeur qui transparaît. Dans l’unité d’un lieu, il y a ce qu’on appelle «  l’aérat » , qui va au-delà de l’idée qu’on se fait d’un lieu, son histoire, quelque chose de transcendant. L’Air de Paris c’est cela, un absolu rassemblé dans cette petite fiole.

En tout vous avez réuni plus de 18 œuvres sur ce thème ?

Oui, et ce sont autant de reliques olfactives. Il y a Sarkis qui offre à Pénélope une autre possibilité d’être en ajoutant au bronze un extrait du parfum Vol de Nuit de Guerlain, qui fait partie de l’œuvre. À travers cela, il réfléchit à la trans-génération puisqu’il a demandé à une enfant de 7 ans de réinterpréter ce qu’il avait déjà réalisé d’après l’œuvre de Bourdelle. Il y a également cette œuvre de Roman Moriceau, sous cloche, « Smell likes God ». Quand on la soulève, cela sent l’encens, qui est l’odeur associée à la religion. Mais aujourd’hui il y a un retour à l’encens désacralisé, ce qui témoigne d’un manque de sacralité dans le monde d’aujourd’hui. 

Que dire de l’œuvre de Sarah Trouche, «Faccia a Faccia, venni ,vidi vissi», en savon ?

Sarah a été totalement bouleversée par les attentats au Bataclan, et également victime d’une agression physique. Elle a donc tout un travail autour de la chair, de sa vision de la chair féminine, particulièrement dans le cas des femmes victimes de violences. Là elle a choisi de modeler un visage, déformé, dans un savon végétal qui a la même densité que la chair, dans un geste assez fort.

Quel est le point commun entre toutes ces œuvres ?

L’idée était de mettre en lumière à quel point la valeur artistique de l’odeur est importante. Inestimable même. C’est un objet immatériel très précieux. Il permet de raviver la mémoire, de lier ce qui se sent, ce qui se hume, à la grande tradition du sacré, fil rouge de l’histoire de l’humanité et de ses rites. L’odeur est ce qui révèle l’émotion. Ce que l’on comprend à travers ce parcours, c’est que les artistes sont comme les chamanes d’aujourd’hui. Ils ouvrent les portes, conservent les reliques, ce sont les prêtres contemporains.

Crédits photos : Sarkis Tarossian / Courtoisie Galerie Pauline Pavec

Odore, l’art, l’odeur et le sacré
Jusqu’au 20 février, 
Galerie Pauline Pavec,
45 rue Meslay, Paris 3. 

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